Agent commercial : obligation d’avoir la faculté de négocier les prix ?

Écrit le
1 mars 2021

« Doit désormais être qualifié d’agent commercial le mandataire, personne physique ou morale qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux, quoiqu’il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services. »

Cass. com., 2 décembre 2020 n°18-20.231

 

La qualité d’agent commercial est désormais reconnue au profit d’un mandataire qui ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de son mandant, ce que refusait la Cour de cassation jusqu’à présent.

 1.L’agent commercial au sens du Code de commerce

L’agent commercial est défini par l’article L.134-1 du Code de commerce comme « un mandataire qui, à titre de profession indépendante et de façon permanente, négocie et éventuellement conclut des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestations de services au nom et pour le compte de son mandant ».

En l’absence de pouvoir de négocier, l’agent commercial ne peut en conséquence revendiquer le bénéfice du statut de l’agence commerciale et du droit à indemnité y attaché en cas de cessation de son contrat.

 

 2. Le pouvoir de négociation au sens des juridictions françaises jusqu’au 2 décembre 2020

L’interprétation de ce pouvoir de négociation faisant débat depuis plusieurs années.

La Cour de cassation avait une acception stricte de la notion de négociation, ce qui avait pour conséquence une approche restrictive de la qualification d’agent commercial.

Afin de pouvoir distinguer l’agent commercial d’autres intermédiaires commerciaux, lesquels ne bénéficient pas du même statut protecteur, elle retenait notamment que la négociation supposait que l’intermédiaire dispose d’une marge de manœuvre certaine pour influer sur les éléments constitutifs de la convention avant la conclusion du contrat avec le client.

Elle en déduisait que le terme de « négociation » ne pouvait se résumer à une simple promotion du produit, ni davantage à la seule prospection de la clientèle, mais devait s’entendre « de la possibilité offerte à l’intermédiaire de modifier les clauses contractuelles initialement envisagées par le mandant, s’agissant notamment des prix et des conditions de vente des produits ».

3. La définition retenue par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)

L’article L 134-1 du Code de commerce résultant de la transposition de la directive européenne 86/653 du 18 décembre 1986, le Tribunal de commerce de Paris a pu saisir la CJUE en 2018 d’une question préjudicielle portant sur la définition de la notion de pouvoir de négociation de l’agent commercial.

Cette dernière a répondu par un arrêt du 4 juin 2020[1] que « la personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial ».

La CJUE a par ailleurs indiqué que les tâches de l’agent peuvent être accomplies notamment au moyen d’actions d’information, de conseil et de discussions, qui peuvent être de nature à favoriser la conclusion de l’opération de vente, sans toutefois que l’agent ne dispose de la faculté de modifier les prix des marchandises.

La réponse de la CJUE est donc claire et s’impose aux juridictions françaises.

4. La transposition de la solution de la CJUE en droit français

Face à cette interprétation limpide apportée par la CJUE, la Cour de cassation, dès la première affaire dont elle a été saisie en la matière, a transposé cette solution en droit français.

C’est ainsi que par l’arrêt cité, elle a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 3 mai 2018 pour violation de l’article L.134-1 du Code de commerce, cette dernière ayant refusé le bénéfice du statut d’agent commercial au motif de l’impossibilité pour le mandataire de négocier les prix.

La Cour de cassation reprend donc à son compte l’argumentation de la CJUE.

Désormais la qualification d’agent commercial ne nécessitera plus la démonstration par le mandataire de sa capacité à pouvoir négocier les prix des marchandises de son mandant.

5. Des clauses de limitation de pouvoir

Par ailleurs, et afin de prévenir la tentative de contournement de la législation protectrice accordée à l’agent commercial, la Cour de Justice de l’Union Européenne a pris soin de préciser qu’il n’est pas possible d’admettre des parties qu’elles s’y soustraient volontairement en stipulant une clause excluant tout pouvoir du mandataire de modifier les tarifs du mandant.

Il doit désormais être pris pour acquis qu’une telle clause est sans incidence sur la qualification du contrat d’agent commercial.

Les juridictions du fond et la Cour de cassation ne manqueront pas de faire application de cette nouvelle définition, et de continuer à affiner le contenu de cette nouvelle interprétation

 

[1] CJUE, 4 juin 2020, C-828/18, considérant n° 39.

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