Focus sur la distribution exceptionnelle de dividendes : Quelles sommes peut-on distribuer et à quel moment ?

Au cours de ces dernières semaines, la question de la distribution exceptionnelle de dividendes, c’est-à-dire celle intervenant en dehors de l’assemblée générale ordinaire annuelle (« AGOA ») a suscité de vifs débats jurisprudentiels, lesquels, tout en clarifiant le régime, obligent désormais les sociétés à faire preuve de prudence.

Le cabinet NMCG Avocats vous propose de faire un point sur les bonnes pratiques qu’il convient aujourd’hui d’adopter en la matière. La question est en effet centrale car tout dividende distribué en violation des textes est constitutif d’un délit puni de 5 ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende (C.com, art L.232-12 al.3 et art L.242-6 1°).

Pour rappel, chaque associé dispose d’un droit aux dividendes en principe proportionnel aux titres détenus dans la société. Néanmoins, il est possible dans certains cas de prévoir une répartition inégalitaire des dividendes entre les associés, si ce principe est inscrit dans les statuts, ou de conférer aux associés des actions dites « de préférence », leur permettant de bénéficier de prérogatives particulières telles qu’un dividende double ou un dividende prioritaire.

Les dividendes peuvent être distribués aux associés à différents moments de l’année :

 

  1. A l’occasion de l’approbation des comptes 

Dans les six mois qui suivent la clôture d’un exercice social, les associés d’une société doivent se réunir en assemblée générale pour approuver les comptes. A cette occasion, ils constatent la réalisation d’un bénéfice ou d’une perte et ils doivent affecter ce résultat dans les postes comptables de la société.

Lorsqu’un bénéfice est réalisé, l’assemblée générale peut distribuer cette somme aux associés sous forme de dividendes, après avoir apuré les pertes antérieures, doté les réserves légales et statutaires et réintégré le report bénéficiaire, c’est-à-dire les bénéfices réalisés antérieurement par la société qui n’ont pas été distribués. On appelle cette somme retraitée le « bénéfice distribuable » (C.com, art L.232-11 al.1).

Mais l’assemblée générale peut aussi décider de ne pas distribuer le bénéfice distribuable sous forme de dividendes, ou de ne distribuer qu’une partie de celui-ci. Dans ce cas, le bénéfice non distribué pourra être affecté soit au compte « autres réserves » (réserves librement constituées par les associés), soit au compte « report à nouveau » afin de renforcer la solidité financière de la société.

 

 

Par exemple, une société A, clôture son exercice social chaque 31 décembre et a réalisé un bénéfice de 16.000 euros en 2023, qu’elle a décidé d’affecter pour moitié au poste « autres réserves » et au poste « report à nouveau » pour les 8.000 euros restants (les réserves légales et statutaires ayant été dotées et aucune perte n’étant à apurer).

 

Au 31 décembre 2024, cette société constate un bénéfice de 17.500 euros. L’assemblée générale ordinaire annuelle peut affecter cette somme, selon plusieurs modalités :

  • Distribution de dividendes aux associés ;
  • Affectation au poste « autres réserves »
  • Affectation au poste « report à nouveau »

 

PASSIF 2024  2023
CAPITAUX PROPRES

 

Capital

Primes d’émission, de fusion ou d’apport

Réserves légales, réserves statutaires

Autres réserves

Report à nouveau

Résultat de l’exercice

Subventions d’investissement

Provisions réglementées

 

 

100 000

0

10 000

28 000

58 000

17 500

0

0

 

 

100 000

0

10 000

20 000

50 000

16 000

0

0

TOTAL CAPITAUX PROPRES 213 500 196 000

 

  1. En dehors de l’approbation de l’approbation des comptes

Il convient de distinguer deux types de bénéfices distribuables :

  • Le bénéfice de l’exercice en cours, non encore approuvé par l’assemblée générale: avant l’approbation des comptes de l’exercice en cours, l’assemblée générale peut distribuer des acomptes sur dividendes à condition qu’un bilan établi par un commissaire aux comptes établisse que la société a réalisé un bénéfice (C.com, art L.232-12 alinéa 2).

 

  • Le bénéfice déjà approuvé par l’assemblée générale au titre d’exercices antérieurs et placé dans les réserves libres et/ou le report à nouveau :

Si la distribution des réserves libres et du report à nouveau sous forme de dividendes ne suscite aucune difficulté dans leur principe (C.com, art L.232-11), ses modalités suscitent beaucoup plus d’interrogations.

Deux lectures peuvent être faites des textes :

  • Interprétation stricte: seule l’assemblée générale ordinaire annuelle peut procéder à la distribution des réserves et du report à nouveau (sauf cas particulier de la procédure d’acompte sur dividendes après certification d’un commissaire aux comptes) ;

 

  • Interprétation large: toute assemblée générale (et pas seulement l’AGOA) peut procéder à la distribution du report bénéficiaire ou des réserves libres.

Cette dernière approche est partagée depuis longtemps par la CNCC (Compagnie nationale des commissaires aux comptes)[1], l’ANSA (Association Nationale des Sociétés par Actions)[2] ainsi que par une grande partie de la doctrine. Les réserves et le report à nouveau ayant déjà été approuvés par l’AGOA au titre des exercices précédents, l’assemblée générale doit alors en avoir la libre disposition à tout moment de l’exercice social.

Pourtant, le tribunal de commerce de Paris (aujourd’hui « Tribunal des activités économiques ») a ébranlé cette conception dans son arrêt du 23 septembre 2022 où les juges consulaires estimèrent qu’aucune distribution de sommes prélevées sur les réserves ne peut intervenir avant l’approbation des comptes.

Mais le 30 janvier 2025, la Cour d’appel de Paris est venue contredire ce raisonnement et a affirmé qu’« en l’absence de disposition légale ou réglementaire contraire, rien n’interdit de décider une distribution exceptionnelle de dividendes prélevés sur les comptes de report à nouveau et réserves libres en dehors de l’assemblée générale ordinaire annuelle » [3].

Mais coup de théâtre : seulement quelques jours plus tard, le 12 février 2025, la Cour de cassation se prononçant dans le cadre d’une autre affaire est venue temporiser la solution rendue par la Cour d’appel. Pour la Haute juridiction, seule l’AGOA peut distribuer le report bénéficiaire. Toute décision de distribution du report à nouveau prise par une assemblée générale autre que celle approuvant les comptes de l’exercice écoulé encourt donc la nullité [4].

En revanche, la décision de la Cour de cassation ne semble pas revenir sur le principe de la distribution des réserves libres par toute assemblée, tel que la Cour d’appel l’a admis.

Ainsi, les contours de la distribution exceptionnelle des dividendes se dessinent. Aujourd’hui, toute assemblée générale peut distribuer les réserves libres et ce, à tout moment de l’année. En revanche, en ce qui concerne le report à nouveau, seule l’AGOA peut décider de le distribuer, à peine de nullité et de poursuites pénales pour distribution de dividendes fictifs.

Ainsi, nous conseillons aux futures assemblées générales de régulariser les distributions exceptionnelles de dividendes réalisées au cours des derniers exercices afin que celles-ci ne soient pas remises en cause. Nos avocats spécialisés en droit des affaires peuvent vous accompagner dans ces démarches.

[1] Bull. CNCC n° 44, décembre 1981, p. 500

[2] Avis du comité juridique, 2 juillet 2003

[3] CA Paris, 30 janvier 2025, n°22/17478

[4] Cass. Com., 12 févr. 2025, n° 23-11.410

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