Airbnb : meublés touristiques et seconde manche après l’arrêt de la CJUE

Écrit le
1 mars 2021

Après l’affirmation par la CJUE de la conformité au droit européen de la réglementation limitant les locations en meublé de courte durée à une clientèle de passage, le juge français reprend la main dans les affaires dites « Airbnb ».

Cass. 3e civ., 18 févr. 2021, n° 19-13.191, n° 17-26.156, et n° 19-11.462

Le 15 novembre 2018, la troisième chambre civile de la Cour de cassation statuant sur un litige opposant la ville de Paris à une société de location de courte durée en meublé, avait renvoyé la question de la conformité du dispositif protecteur du code de la construction et de l’habitation (article L. 631-7 et suivants du CCH) à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Selon cette disposition, dans les villes de plus de 200 000 habitants et celles de la petite couronne parisienne, la location en meublé d’un logement, qui ne constitue pas la résidence principale du bailleur, pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage qui doit être autorisé par la mairie de la commune où le dispositif est applicable.

S’agissant spécifiquement de la Ville de Paris, un principe supplémentaire de compensation a été instauré, aux termes duquel en contrepartie de la location d’un immeuble en location de courte durée, le propriétaire doit mettre en location à usage d’habitation un logement de taille équivalente.

Par ailleurs, dans les secteurs dits de « compensation renforcée », les locaux proposés en compensation doivent représenter une surface double de celle faisant l’objet de la demande de changement d’usage ou équivalente si les locaux de compensation deviennent des logements locatifs sociaux.

  1. La question de la conformité au droit de l’Union Européenne

Les juges européens ont considéré[1] que le régime d’autorisation mis en place par le droit français aux articles L 631-7 et suivants du Code de la Construction et de l’Habitation est bien justifié par une raison impérieuse d’intérêt général en ce qu’il a pour objectif de lutter « contre la pénurie de logements destinés à la location, (… ) de répondre à la dégradation des conditions d’accès au logement et à l’exacerbation des tensions sur les marchés immobiliers, notamment en régulant les dysfonctionnements du marché, de protéger les propriétaires et les locataires et de permettre l’accroissement de l’offre de logements dans des conditions respectueuses des équilibres des territoires ».

Par ailleurs, les conditions d’octroi de l’autorisation ont été jugées suffisamment claires et objectives car tout particulièrement les dispositions françaises fixent les éléments objectifs en fonction desquels les autorités doivent déterminer les conditions d’octroi.

S’agissant en particulier du dispositif de compensation mis en place par la ville de Paris, la CJUE a considéré qu’il n’allait pas au-delà de ce qui est nécessaire à la lutte contre la pénurie de logements locatifs à des prix acceptables.

  1. L’application de cet avis par la Cour de cassation

C’est fort de cet avis que la Cour de cassation a rendu le 18 février 2021 trois décisions opposant la ville de Paris à des bailleurs privés.

Elle a rappelé que la courte durée de référence visée par les textes est inférieure à un an hormis les cas particuliers qu’elle énumère, à savoir :

  • – La location consentie à un étudiant pour une durée d’au moins neuf mois,
  • – La conclusion d’un bail mobilité d’une durée de un à dix mois,
  • – La location consentie à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur pour une durée maximale de quatre mois

Ainsi, hormis ces 3 exceptions, toute location pour une durée inférieure à 1 an doit faire l’objet d’une déclaration de changement d’affectation.

A défaut, « toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50 000 € par local irrégulièrement transformé. »

C’est ainsi que la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’une société civile immobilière au paiement d’une amende d’un montant de 15 000 €, conformément à l’article L. 651-2 du CCH pour défaut de changement d’affectation du studio qu’elle louait.

  1. La détermination de l’usage du local

Toutefois, pour savoir si une autorisation de changement d’usage est nécessaire, encore faut-il connaître l’usage du local.

Aux termes du 3ème alinéa de l’article L. 631-7 du CCH, un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970.

Afin de connaître cet usage à cette date, il y a lieu de se référer au formulaire « H2 » » fourni par l’administration fiscale, et que les redevables de la contribution foncière des propriétés bâties ont dû remplir en vue de la révision foncière du 1er janvier 1970.

Toutefois, encore faut-il qu’il ait été rempli à la bonne date !

En effet, dans l’une des espèces soumises à la Cour de cassation, la Ville de Paris produisait, pour établir l’usage d’habitation du local en cause, la déclaration établie selon le modèle « H2.

En l’espèce, ce formulaire avait été rempli par le propriétaire du local en 1978.

La Cour de cassation en a déduit que les renseignements portés dans ce formulaire ne pouvaient être considérés comme décrivant l’usage du bien au 1er janvier 1970. Elle ajoute que l’absence de mention de travaux postérieurement au 1er janvier 1970 dans le relevé cadastral n’est pas de nature à établir que le local était affecté à usage d’habitation à cette date.

L’arrêt de la cour d’appel a donc été cassé.

La Ville de Paris estime que 5 000 loueurs de la capitale exercent la location touristique dans l’illégalité, sans autorisation ni compensation, et a déjà poursuivi devant la justice 350 d’entre eux à qui elle réclame l’amende maximale de 15 000 euros, portée en 2018, à 50 000 euros plus une astreinte de 1 000 euros par mètre carré loué et par jour de retard, jusqu’à leur régularisation.

Il y a donc lieu d’être particulièrement attentif lorsque vous souhaitez mettre en location meublée type « Airbnb » un bien. 

 

[1] CJUE, 22 sept. 2020, arrêt C-724/18

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