Licenciement pour faute : quand le salarié plaide la folie…rétroactivement

Cour de cassation, Chambre sociale, 5 mars 2025, 23-50.022

 

 

Il est constant que dès lors que l’état de santé du salarié interfère avec l’exécution de son travail, la rupture du contrat est soumise à des règles particulières.

 

Mais si les règles relatives à une inaptitude constatée en bonne et due forme par la médecine du travail sont balisées, celles à appliquer face à une pathologie non suivie dans la sphère professionnelle semblent difficiles à appréhender.

 

Dans l’affaire commentée, ayant relevé que « le salarié se trouvait au moment des faits qui lui sont reprochés dans un état psychique fortement altéré pouvant obérer ses facultés de discernement quant au caractère répréhensible de son comportement et que les éléments médicaux produits montraient que le salarié présentait des troubles de comportement, notamment sur le lieu de travail, plusieurs jours avant son hospitalisation sous contrainte intervenue le 17 mars 2019 à la suite d’une nouvelle décompensation psychotique alors qu’il était en rupture de traitement depuis plusieurs mois selon le médecin psychiatre », et ayant retenu que l’intéressé « était en arrêt maladie lors du prononcé du licenciement et avait formé une demande d’invalidité », c’est à juste titre, selon la Cour de cassation , que la Cour d’appel de Toulouse a décidé que les faits qui lui étaient reprochés ne lui étaient pas imputables et que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

 

Cette décision ne manque pas de surprendre.

 

En effet, si on savait déjà que le salarié qui invoque son état psychologique troublé peut y trouver une justification du comportement qui lui est reproché, il semble désormais tranché que cette « protection » pourrait trouver à s’appliquer par effet de surprise via une démonstration à posteriori du salarié.

 

  • Rappel des faits de l’espèce

Le salarié a fait l’objet de plusieurs arrêts de travail pour dépression.

Il a été mis à pied à titre conservatoire le 1er mars 2019 et convoqué à un entretien préalable au licenciement, fixé au 15 mars, puis reporté au 25 mars 2019.

Le 17 mars 2019, il a été hospitalisé à la suite d’une décompensation psychotique.

Il a été licencié pour faute grave le 29 mars 2019, l’employeur lui reprochant d’avoir adressé à une collègue des messages menaçants et insultants, de manière répétée, le 28 février 2019.

 

Devant les juges du fond, le salarié ne contestait pas la matérialité des faits qui lui étaient reprochés, mais soutenait qu’au moment de leur commission, il se trouvait « dans un état psychique fortement altéré pouvant obérer ses facultés de discernement quant au caractère répréhensible de son comportement ».

 

Cet argumentaire s’appuyait sur la production du certificat délivré par un médecin psychiatre qui attestait qu’il souffrait durant cette période de troubles du comportement, et avait fait l’objet, quelques jours après les faits en cause, d’une hospitalisation sous contrainte pour « décompensation psychotique » liée à une rupture de traitement depuis plusieurs mois, et était en arrêt maladie pour cette pathologie au moment du licenciement.

 

Alors que l’employeur invoquait son ignorance de ces éléments médicaux à la date du licenciement, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel qui a retenu que les faits reprochés au salarié ne lui étaient pas imputables, et que le licenciement devait dès lors être jugé comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

 

  • Sur l’apport de cette jurisprudence

La solution retenue n’est pas en tant que telle nouvelle mais elle interpelle par son audace en ceci qu’elle souligne la possibilité d’une application, à posteriori, de la règle pré-éditée.

En matière de licenciement, l’employeur qui souhaite se placer sur le terrain disciplinaire doit mettre en évidence une faute commise par le salarié et seul un comportement volontaire est susceptible de légitimer son licenciement.

La Chambre sociale de la Cour de cassation a posé de longue date le principe de la prohibition des sanctions disciplinaires lorsque les faits imputés trouvent leur origine dans une pathologie y compris mentale (Cour de Cassation, 28 janvier 1998, n° 95-41.491).

Cette position jurisprudentielle a été confirmée avec plus ou moins de vigueur ces dernières années

  • S’agissant d’un Directeur commercial ayant tenus des propos injurieux à l’encontre de l’employeur dans des courriers privés, ces propos s’inscrivant dans des relations contractuelles d’une durée de 14 années jusque-là sans reproche et perturbées par l’état dépressif de l’intéressé ( soc. 21-4-2010 n° 09-40.527).
  • S’agissant d’un salarié ayant menacé une de ses collègues, sans que la Cour d’appel ne recherche, comme elle y était invitée, si ce comportement n’était pas lié à son état de santé du fait de l’isolement professionnel dans lequel l’avait volontairement placé la société depuis plusieurs mois ( soc. 21-6-2011 n° 10-12.116).
  • S’agissant d’un salarié ayant adressé à son supérieur hiérarchique un message agressif et insultant avec copie à quatre membres de l’entreprise, mais dans un état dépressif sévère connu de l’employeur ( soc. 19-5-2021 n° 19-20.566)

Elle a même inspiré le Conseil d’Etat qui décidait en 2013 de confirmer l’annulation d’une autorisation de licenciement d’un salarié protégé au motif que :

« Considérant que, pour juger que les faits reprochés à l’intéressé étaient en rapport avec son état pathologique, la cour a relevé, en se fondant notamment sur le rapport de l’expert désigné par le tribunal administratif de Dijon, que le comportement agressif de M. B… pendant la journée du 21 mars 2005 était la conséquence des troubles psychiques dont il était atteint et des médicaments qui lui avaient été prescrits pour les traiter, lesquels avaient entrainé une addiction et avaient eu pour effet secondaire une altération de son état de conscience et une désinhibition du comportement ; qu’en en déduisant, par un arrêt suffisamment motivé, que l’administration ne pouvait légalement autoriser son licenciement pour faute, la cour n’a pas commis d’erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; » Conseil d’État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 03/07/2013, 349496.

Par son arrêt du 5 mars commenté, la Cour de cassation enfonce le clou.

Nul besoin de faute de l’employeur en lien avec l’état de santé du salarié, nul besoin d’un rapport d’expert, nul besoin d’une connaissance par l’employeur de la fragilité psychologique du salarié à la date de prononcé du licenciement ; la démonstration faite par le salarié, à posteriori, suffit !

Ce raisonnement est éminemment contestable.

Non seulement il ne tient pas compte du principe selon lequel la sanction prononcée doit être analysée à la lumière des éléments connus par l’employeur à la date de sa décision, mais il n’a visiblement cure de l’obligation de l’employeur de prendre soin de la santé de l’ensemble des salariés et donc de protéger également les collègues du salarié qui se déclarerait fou …à posteriori.

 

Une chose est certaine, il s’agit là d’un véritable nid à insécurité juridique ce qui explique sûrement que l’arrêt ne soit pas publié, le reléguant donc, on l’espère, à une portée non générale.

 

 

 

  • Pistes non explorées ?

La sévérité de la Cour de cassation est d’autant moins compréhensible que plusieurs autres pistes auraient à notre sens mérité d’être explorées.

On regrette ainsi que la Cour de cassation n’ait pas simplement amoindri la sanction disciplinaire via la requalification du licenciement pour faute grave prononcé en un licenciement pour faute simple.

 

Une telle interprétation aurait eu le mérite de prendre en compte la globalité des intérêts en jeu et non pas seulement celui du salarié.

 

Quoiqu’il en soit, la sanction retenue est celle de l’absence de cause réelle et sérieuse, là où on aurait pu craindre une nullité du licenciement.

 

On regrette également que la Cour de cassation n’ait pas saisi cette occasion pour clarifier ce qui est attendu de l’employeur en pareil cas.

 

Elle aurait en effet pu indiquer que si le licenciement pour faute, même simple est exclu c’est précisément parce que l’employeur doit emprunter une autre voie ; celle d’un licenciement pour cause objective par exemple ?

 

Les juges du quai de l’horloge restent muets sur ces points et le doute reste donc entier.

 

 

 

 

 

  • Que retenir ?

En attendant une clarification jurisprudentielle, il est clair que l’employeur doit se garder de faire preuve de précipitation face à un salarié dont il a des raisons de croire qu’il n’est pas en possession de toutes ses facultés psychiques ; et ce, même si l’intéressé ne déclare pas officiellement sa pathologie.

Sauf à choisir de prendre le risque de voir la sanction prononcée retoquée par les tribunaux (ce qui pourrait bien être la seule solution dans certains cas de nécessité opérationnelle), deux voies semblent ouvertes à l’employeur :

 

ð Soit saisir le médecin du travail en vue de lui demander de se prononcer sur l’aptitude du salarié à occuper son poste et, en cas d’aptitude, initier la procédure de licenciement. Il reste que la jurisprudence a déjà pu admettre, du moins indirectement (Cass. soc. 19-5-2021 19-20.566), qu’une telle décision du médecin du travail n’excluait pas la possibilité pour le salarié de contester la sanction…

 

ð Soit licencier le salarié en raison du trouble causé par son comportement au bon fonctionnement de l’entreprise, en prononçant donc un licenciement « sui generis », avec tous les risques qu’implique ce motif non maitrisé.

 

 

 

Finalement, lorsque le terrain du disciplinaire se trouve contaminé par une pathologie psychique, avérée, supposée ou feinte, l’employeur serait-il tenu à l’impossible ?

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