La faute grave de l’agent commercial doit être invoquée dès le courrier de résiliation : revirement de position de la Cour de cassation

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 16 novembre 2022, 21-17.423

Dans un arrêt en date du 16 novembre 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur sa position maintenue depuis vingt ans, et s’aligne sur la jurisprudence européenne. Dorénavant, la faute de l’agent commercial doit être invoquée par le mandant dans le courrier de résiliation.

  1. Que dit la loi sur la faute grave de l’agent commercial ?

L’article L.132-12 du Code de commerce dispose que :

« En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. »

L’article L.132-13 du Code de commerce dispose quant à lui que :

« La réparation prévue à l’article L. 134-12 n’est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial ; […] »

L’articulation du régime de l’indemnité de fin de contrat de l’agent commercial est claire :

  • l’indemnité de fin de contrat est, en principe, due à tout agent commercial.
  • sauf dans les cas d’exclusion limitativement énumérés, dont fait partie la faute grave.

 

  1. Dans les faits

Une société exerçait, depuis 2008, l’activité d’agent commercial pour le compte d’une seconde société. Le 11 octobre 2013, un contrat d’agence commerciale est conclu entre les deux sociétés.

Le mandant a résilié le contrat d’agence commerciale le 4 mars 2016, en proposant de régler à l’agent commercial une indemnité de résiliation.

Le mandant s’est rétracté de son offre, ayant découvert postérieurement à la notification de la résiliation du contrat, des manquements à l’obligation de loyauté de l’agent commercial, justifiant selon lui le non-paiement de l’indemnité légale de fin de contrat.

L’agent commercial a assigné le mandant en paiement des indemnités de rupture et de préavis.

Estimant qu’une faute grave avait été commise – bien que découverte postérieurement à la résiliation – et que cela justifiait la perte du droit à indemnité, le tribunal de commerce saisi a débouté l’agent commercial de ses demandes de paiement.,

L’agent commercial a interjeté appel de ce jugement.

La Cour d’appel de Versailles a débouté ce dernier de son appel, considérant à l’instar du Tribunal de commerce qu’il « importe peu que, découvert postérieurement à la rupture, un manquement à l’obligation de loyauté ne soit pas mentionné dans la lettre de résiliation, si ce manquement, susceptible de constituer une faute grave, a été commis antérieurement à cette rupture. » Ainsi, à nouveau, il a été jugé que l’agent commercial avait perdu son droit à l’indemnité de rupture.

En conséquence de cet arrêt, l’agent commercial s’est pourvu en cassation en invoquant notamment la jurisprudence de la Cour de justice européenne selon laquelle l’invocation d’un manquement pouvant constituer une faute grave, ultérieurement à la notification de la résiliation, ne peut priver l’agent commercial de son droit à indemnité.

 

  1. Avis de la Cour de cassation

La Cour de cassation, dans son arrêt du 16 novembre 2022, a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles en suivant l’argumentation développée par l’agent commercial à l’appui de son pourvoi.

Se faisant, la Cour de cassation change totalement sa jurisprudence jusque là bien établie.

En effet, depuis une vingtaine d’années, la Cour de cassation considérait qu’un agent commercial devait être privé de son indemnité de fin de contrat même lorsque sa faute grave, commise pendant l’exécution du contrat, avait été découverte postérieurement à la notification de la résiliation, par le mandant.

Cette analyse était appliquée à la situation suivante : le mandant résilie le contrat, sans mention de la faute grave ; l’agent sollicite sa volonté de percevoir l’indemnité d’ordre public ; le mandant oppose alors la faute grave de l’agent commercial.

La Cour de cassation était constante : cette invocation tardive de la faute grave, même lors de la phase contentieuse, permettait l’exclusion du droit à l’indemnité de fin de contrat.

Parallèlement à la jurisprudence développée par la Cour de cassation, la Cour de Justice de l’Union Européenne (ancienne Cour de Justice des Communautés Européennes, CJCE) jugeait quant à elle que l’indemnité de l’agent devait être maintenue lorsque la faute grave était postérieurement relevée ou dénoncée par le mandant (notamment : CJCE 28 octobre 2010, aff. C-203/09, Volvo).

Ainsi, depuis 2010, la Cour de cassation était en contradiction avec la jurisprudence européenne.

Cette divergence de position des deux juridictions est désormais révolue, la Cour de cassation se conformant aujourd’hui à l’avis de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Elle rappelle ainsi que la directive ne prévoit pas la possibilité pour le mandant de se soustraire à son obligation de paiement en invoquant une faute grave après avoir notifié la résiliation du contrat, et qu’en jugeant le contraire, elle ajoutait jusqu’ici une « cause de déchéance de l’indemnité non expressément prévue dans la directive ».

Aussi, « en considération de l’interprétation qui doit être donnée aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, il apparaît nécessaire [pour la Cour de cassation] de modifier la jurisprudence de [sa] chambre [commerciale] », en retenant désormais que « l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité. »

 

  1. Pour aller plus loin

Dans un premier temps, avant de notifier l’agent commercial de la résiliation du contrat, le mandant doit s’assurer de la gravité de la faute qu’il entend invoquer ; c’est-à-dire s’assurer que celle-ci peut être qualifiée de faute grave.

Ensuite, le mandant doit impérativement dénoncer la faute grave de l’agent dès l’envoi du courrier de résiliation du contrat.

Toutefois, la faute grave tardivement dénoncée ne semble pas totalement privée de tout effet à l’encontre de l’agent commercial.

L’arrêt de la CJCE précité précisait clairement que l’agent avait droit à une indemnité si « son paiement apparaissait équitable au regard des faits ».

Aussi, même si la faute grave tardivement dénoncée ne peut priver, à elle seule, l’agent de son indemnité ; cette faute grave peut moduler le montant de cette indemnité, par exemple via l’octroi de dommages-intérêts au mandant.

Sur ce point, la Cour de cassation a eu l’occasion de juger récemment que la faute grave de l’agent pouvait le priver de son indemnité et occasionner des dommages-intérêts supplémentaires au bénéfice du mandant (Cass. Com., 19 octobre 2022, n° 21-20.681)

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