Abandon de poste : le Conseil d’Etat valide la présomption de démission sous réserve (CE 18-12-2024 n° 473640, 473680, 474392, 475097, 475100 et 475194)
5 février 2025
Le Conseil d’État s’est récemment prononcé sur la présomption de démission en cas d’abandon de poste, validant ce dispositif sous certaines conditions, lequel a été institué par la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 dite « Marché du travail », et mise en application avec la publication d’un décret du 17 avril 2023[1].
Un questions-réponses, publié par le Ministère du travail, était venu compléter ce dispositif.
Des recours en annulation contre ce décret et le questions-réponses avaient dès lors été déposés devant le Conseil d’État par plusieurs syndicats. Ces derniers reprochaient notamment à ce nouveau dispositif de fermer la porte au licenciement pour abandon de poste, lequel permettait aux salariés de bénéficier des allocations chômage.
Dans les arrêts du 18 décembre 2024, le Conseil d’État rejette ces demandes d’annulation et impose une exigence nouvelle non prévue par le texte.
Retour sur les principales étapes et obligations pour mieux comprendre et mettre en œuvre cette procédure qui permet de gérer des situations délicates, mais dont l’application requiert une attention particulière.
- Présomption de démission : un outil face à l’abandon de poste
Pendant longtemps, il était interdit de considérer qu’un salarié en absence injustifiée pour abandon de poste puisse être démissionnaire. Dans ce cas, l’employeur était contraint de rompre le contrat en passant par un licenciement pour faute grave.
Depuis le 19 avril 2023, les employeurs disposent d’un cadre juridique pour traiter les cas d’abandon de poste. La présomption de démission, introduite par la loi « Marché du travail » de décembre 2022, permet de considérer un salarié comme démissionnaire, à condition de respecter un processus encadré.
On considère à ce titre que le salarié a abandonné son poste lorsqu’il l’a quitté sans autorisation ou qu’il ne vient plus au travail sans justifier son absence.
Dans ce cadre, l’employeur doit adresser au salarié un courrier de mise en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste dans un délai qu’il peut fixer librement mais qui ne peut être inférieur à 15 jours[2]. Pour éviter tout litige, il est conseillé de prévoir un délai légèrement plus long que le minimum légal.
Cette mise en demeure doit être envoyée par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge.
Le salarié dispose quant à lui d’un délai minimum de 15 jours pour y répondre.
Sur ce décompte, le Conseil d’Etat a tout d’abord validé les dispositions relatives au point de départ de ce délai et juge en particulier valable la règle selon laquelle ce délai court à partir de la date de présentation de la mise en demeure, et non à compter de sa réception.
Cette présomption ne s’applique toutefois pas pour les salariés qui ne se rendent pas au travail pour de motifs légitimes, et notamment dans les cas suivants :
- Exercice du droit de grève ;
- Refus d’exécuter une instruction contraire à la loi ;
- Raisons médicales justifiant l’absence ;
- Modifications du contrat à l’initiative de l’employeur
L’employeur doit donc examiner les justificatifs apportés par le salarié, avant de présumer une démission.
- La décision du Conseil d’État : validation du décret et garantie supplémentaire
Par plusieurs arrêts en date du 18 décembre 2024, le Conseil d’État a rejeté les recours visant à annuler le décret d’application de cette procédure.
Il relève tout d’abord que le décret se borne à fixer les modalités d’application de la loi et ne peut donc être regardé comme un « projet de réforme », qui aurait dû être soumis à une concertation préalable.
Les requérants considéraient ensuite que les dispositions dudit décret étaient insuffisantes pour garantir le caractère volontaire de l’abandon de poste, en indiquant que le décret aurait dû compléter les dispositions légales qu’il mettait en œuvre.
Le Conseil d’État a toutefois estimé que ce défaut de précisions ne rendait pas le décret illégal.
Il rappelle néanmoins que :
« La mise en demeure adressée en application du premier alinéa de l’article L. 1237-1-1 du code du travail a pour objet de s’assurer du caractère volontaire de l’abandon de poste du salarié, en lui permettant de justifier son absence ou de reprendre le travail dans le délai fixé par l’employeur. Dès lors, pour que la démission du salarié puisse être présumée en application de ces dispositions, ce dernier doit nécessairement être informé, lors de la mise en demeure, des conséquences pouvant résulter de l’absence de reprise du travail sauf motif légitime justifiant son absence. »
Ce dernier ajoute donc une exigence supplémentaire à respecter par l’employeur qui entend faire jouer la présomption de démission. En réalité, le Conseil d’Etat n’a fait qu’adopter la même position pour les salariés de droit privé que celle déjà appliquée pour les salariés de la fonction publique, et ce, bien que le décret ne l’ait pas explicitement précisé.
Rappelons à ce titre que le Ministère du travail indiquait également dans le cadre de son questions/réponses que l’employeur devait, dans sa mise en demeure[3] :
- « obligatoirement » indiquer le délai dans lequel le salarié doit reprendre son poste ;
- demander la raison de l’absence du salarié afin d’en recueillir la justification ;
- rappeler que passé ce délai, faute pour le salarié d’avoir repris son poste, ce dernier sera présumé démissionnaire.
En outre, et bien que cela ne soit pas précisé, il pourrait à notre sens être opportun de mentionner les conséquences de la démission sur le préavis ou encore sur les droits à chômage.
Enfin, les requérants reprochaient à la loi et au décret de ne pas avoir prévu de faire bénéficier le salarié des garanties prévues par la Convention internationale du droit du travail n° 158 sur le licenciement. Cette convention ne couvre toutefois que la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur et non les situations de démission volontaire.
Or, si c’est bien l’employeur qui initie la procédure par l’envoi d’une mise en demeure, c’est en réalité le salarié, par son absence persistante sans justification, qui est à « l’initiative » de la rupture de la relation de travail.
- FAQ et zones d’ombre non tranchées
Initialement, une FAQ publiée par le ministère en avril 2023 avait suscité des interrogations, laquelle affirmait que :
« si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute ».
Le Ministère du travail excluait donc la possibilité de passer par un licenciement pour faute pour se séparer d’un salarié en raison d’un abandon de poste.
Les requérants avaient donc également demandé l’annulation de cette FAQ.
Or, les dispositions légales et réglementaires qui ont inscrit la présomption de démission dans le code du travail ne mentionnent aucunement que cette procédure est exclusive du licenciement.
Finalement, ce document a été retiré en juin 2023, de sorte que le Conseil d’État n’a malheureusement pas jugé nécessaire de se prononcer sur sa légalité, ce qui aurait pu apporter des précisions utiles et attendues.
Il convient néanmoins de relever que la présomption de démission pour abandon de poste est désormais signalée sur le site du Ministère du travail au travers d’une FAQ plus générale relative à la démission, ainsi rédigée[4] :
« L’absence injustifiée du salarié est-elle une démission ?
En cas d’absence de l’entreprise sans motif légitime (par exemple, un arrêt de travail), ou d’absence de reprise du travail après un arrêt de travail, il n’est pas possible pour l’employeur de considérer le salarié comme immédiatement démissionnaire. Dans cette hypothèse, l’employeur peut engager la procédure de présomption de démission pour abandon de poste volontaire, en suivant les règles posées par l’article R.1237-13 du Code du travail ».
La question de la possibilité pour l’employeur de procéder au licenciement pour faute grave du salarié en absence injustifiée reste donc aujourd’hui toujours en suspens en l’absence de réponse du Conseil d’Etat sur le sujet.
En clair, il convient d’adopter une approche rigoureuse et de privilégier la présomption de démission au licenciement pour faute grave en cas d’abandon de poste.
Si la présomption de démission est un mécanisme utile pour gérer les abandons de poste, son utilisation requiert toutefois une vigilance accrue dans la mesure où il s’agit d’un dispositif dérogatoire au droit commun selon lequel la démission ne se présume pas.
Dès lors, une mise en demeure claire, informant le salarié des conséquences de ses choix, est essentielle pour éviter les litiges sur le sujet.
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[1] Décret 2023-275 du 17 avril 2023, JO du 18
[2] C. trav. art. L. 1237-1-1 et R. 1237-13
[3] RF Social : « Présomption de démission : un « questions/réponses » du ministère du Travail qui interroge », 19 avril 2023