Amazon et les autres exploitants de marketplaces bientôt condamnés […] ?

Selon l’Union des fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle (UNIFAB), la contrefaçon a représenté 2,5% du commerce mondial.

Le secteur le plus touché est celui des vêtements de luxe et c’est sur les marketplaces d’e-commerce que l’on trouve le plus de produits contrefaits.

Pourtant, jusqu’à récemment, la responsabilité des marketplaces pour contrefaçon ne pouvait être engagée que lorsque l’exploitant e-commerce vendait lui-même le produit et qu’il avait ainsi la qualité de vendeur et non de simple hébergeur.

Par un important arrêt du 22 décembre 2022, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) est venue poser les premiers jalons d’une responsabilité des exploitants de marketplaces dans le cadre d’un litige opposant la célèbre plateforme d’e-commerce Amazon à la société exploitant la marque Louboutin.

 

1 – Qu’est-ce que la contrefaçon ?

La contrefaçon est définie aux articles L 335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle comme étant « toute reproduction, imitation ou utilisation d’une marque, d’un brevet, d’un dessin, d’un modèle ou d’une œuvre sans y avoir été autorisé par le titulaire des droits ».

Il s’agit donc d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle.

Très souvent, la vente de contrefaçon s’effectue sur internet et sera donc en lien direct avec d’autres délits tels que la concurrence déloyale, le dénigrement ou la publicité mensongère, puisqu’en effet l’acheteur qui se rend sur un site de vente de produits contrefaits n’est pas correctement informé quant aux caractéristiques du produit.

De plus, la contrefaçon va avoir pour effet de nuire à l’image de la marque et va créer une confusion dans l’esprit du consommateur entre le produit original et celui contrefait.

Pour lutter contre la pratique grandissante de la contrefaçon en ligne, des engagements mutuels entre les titulaires des droits de propriété et les plateformes d’e-commerce ont été pris et se sont matérialisé par la signature de trois chartes :

  • La Charte de lutte contre la contrefaçon sur internet entre titulaires de droits de propriétés industrielle et les plateformes de commerce électronique, signé le 16 décembre 2009,
  • La Charte de lutte contre la contrefaçon sur internet entre titulaires de droits de propriétés industrielle et plateformes de petites annonces sur Internet datée du 7 février 2012,
  • La Charte de lutte contre la contrefaçon sur internet entre titulaires de droits de propriétés industrielle et opérateurs postaux datée du 7 février 2012.

Aux termes de ces charges, les plateformes d’e-commerce se sont engagées à supprimer les potentielles annonces postées par un contrefacteur et les titulaires de droit se sont quant à eux engagés à notifier aux plateformes les annonces comportant des produits contrefaits.

Ce dispositif était toutefois largement insuffisant, notamment en ce que les exploitants des marketplaces n’engageaient pas leurs responsabilités en cas de vente par des tiers, sur leur plateforme, de produits contrefaits.

 

2 – Vers une responsabilité des exploitants de marketplaces

Jusqu’à encore très récemment, la CJUE considérait en effet qu’un exploitant de marketplace n’est responsable de l’authenticité d’un produit seulement lorsqu’il vendait ce produit lui-même.

Elle estimait ainsi que concernant les plateformes de commerce en ligne, l’usage des marques est réalisé par les vendeurs et non par l’exploitant de la plateforme, celui-ci se limitant à exécuter, sur les instructions d’un tiers, une partie technique du processus, sans avoir d’intérêt dans les signes figurant sur les produits.

La jurisprudence de la CJUE a toutefois récemment évolué.

Par un arrêt daté du 22 décembre 2022, la CJUE a ouvert la voie à une responsabilité des plateformes concernant la vente de contrefaçons, en estimant qu’Amazon devait être considérée comme faisant elle-même l’annonce pour de faux produits Louboutin vendus sur son site par des tiers.

Les circonstances de cette affaire étaient les suivantes.

Amazon publie sur ses sites de vente en ligne tant des annonces relatives à ses propres produits, qu’elle vend et expédie en son nom et pour son propre compte, que des annonces émanant de vendeurs tiers.

La plateforme offre également aux vendeurs tiers des services complémentaires de stockage et d’expédition des produits mis en ligne sur sa place de marché

Il a été découvert qu’apparaissent fréquemment sur son site des vendeurs tiers relatifs à des chaussures à semelles rouges.

M. Christian Louboutin, célèbre créateur d’escarpins pour femme à talons hauts dont la semelle extérieure de couleur rouge a fait la renommée, affirmait qu’il n’avait pas donné son consentement à la mise en circulation de ces produits.

Il a ainsi introduit deux recours au Luxembourg et en Belgique contre Amazon, arguant de ce qu’Amazon faisait illégalement usage d’un signe identique à la marque dont il est titulaire pour des produits identiques à ceux pour lesquels la marque en question est enregistrée, en insistant notamment sur le fait que les annonces litigieuses faisaient intégralement partie de la communication commerciale de la plateforme.

Les deux juridictions nationales se sont ainsi posé la question de savoir si l’exploitant d’une place de marché en ligne tel qu’Amazon pouvait être tenu directement responsable de l’atteinte aux droits du titulaire d’une marque qui résulte d’une annonce d’un vendeur tiers.

Saisie de cette question, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a répondu par l’affirmative :

« L’exploitant d’un site internet de vente en ligne intégrant, outre ses propres offres à la vente, une place de marché en ligne est susceptible d’être considéré comme faisant lui-même usage d’un signe identique à une marque de l’UE d’autrui pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque est enregistrée lorsque des vendeurs tiers proposent à la vente, sur cette place de marché, sans le consentement du titulaire de ladite marque, de tels produits revêtus de ce signe, si un utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de ce site établit un lien entre les services de cet exploitant et le signe en question. »

Tel sera notamment le cas lorsque l’utilisateur aura l’impression que c’est l’exploitant du marketplace qui commercialise lui-même, en son nom et pour son propre compte, les produits revêtus du signe en question.

À ce titre, la Cour relève que sont pertinents les éléments suivants :

  • L’exploitant recourt à un mode de présentation uniforme des offres publiées sur son site internet, affichant en même temps les annonces relatives aux produits qu’il vend en son nom et pour son propre compte et celles relatives à des produits proposés par des vendeurs tiers sur la place de marché,
  • Il fait apparaître son propre logo de distributeur renommé sur l’ensemble de ces annonces
  • Il offre aux vendeurs tiers, dans le cadre de la commercialisation des produits revêtus du signe en cause, des services complémentaires consistant notamment dans le stockage et l’expédition de ces produits.

La CJUE n’a toutefois pas tranché le litige puisqu’il appartient à la juridiction nationale de statuer, mais celle-ci devra le faire conformément à la décision de la CJUE.

Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.

***

Si l’arrêt de la CJUE est inédit en ce qu’il laisse entrevoir, pour la première fois, la possibilité d’engager la responsabilité d’un exploitant de marketplaces pour des produits qu’il ne commercialiserait pas lui-même, il est toutefois circonscrit aux exploitants de marketplace qui proposent eux-mêmes des produits ou services sur leur plateforme.

À défaut, conformément à la jurisprudence « eBay » de la CJUE, la responsabilité du simple exploitant de marketplaces ne pourra pas être recherchée pour contrefaçon et seul le vendeur pourra être poursuivi.

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