Des convictions religieuses permettent-elles de refuser une mutation ?

Cass. soc., 19 janvier 2022, n°20-14.014, Sté Derichebourg propreté c/S 

 

La liberté religieuse est un principe protégé en droit du travail. Ainsi, plusieurs textes du Code du travail la consacrent (articles L. 1132-1, L. 1321-3, L. 1321-2-1).

Une telle liberté peut toutefois pousser à s’interroger sur la légitimité du salarié qui invoquerait « des croyances religieuses » pour refuser sa mutation. C’est précisément la question à laquelle la Cour de cassation a dû répondre dans un arrêt du 19 janvier 2022.

En l’espèce, dans le cadre d’une clause de mobilité, un salarié travaillant dans une entreprise de nettoyage a été muté sur le site d’un cimetière. Pour justifier son refus, le salarié a invoqué que ses convictions religieuses hindouistes lui interdisaient de travailler dans un tel lieu. Après convocation à un entretien préalable, il s’est vu notifier une mutation disciplinaire sur un autre site. Face à son refus réitéré de rejoindre son nouveau poste, l’employeur n’a eu d’autre choix que de procéder à son licenciement.

Mécontent, le salarié saisit la juridiction prud’hommale afin d’obtenir la nullité de la mutation disciplinaire et de son licenciement en raison d’une discrimination fondée sur ses croyances religieuses.

La Cour d’appel lui donne raison et prononce la nullité de la sanction disciplinaire et du licenciement et condamne l’employeur au versement de diverses sommes.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation censure les juges du fond en rappelant que « les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ».

Ainsi, pour écarter le caractère discriminatoire de la mutation disciplinaire, la Haute Cour a considéré que « la mutation disciplinaire prononcée par l’employeur était justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante » au sens de l’article 4§1 de la directive 2000/78. En d’autres termes, la mutation disciplinaire prononcée par l’employeur était justifiée compte tenu :

  • de la nature et des conditions d’exercice de l’activité du salarié qui avait été affecté sur un site pour exécuter ses obligations contractuelles après que l’employeur ait légitimement mis en application la clause de mobilité.
  • que la mesure était proportionnée au but recherché puisqu’elle permettait le maintien de la relation de travail.

 

La décision de la Cour de cassation est dans la continuité de la jurisprudence nationale et européenne, en ce qu’elle considère que la liberté religieuse des salariés peut être restreinte à condition que la mesure soit justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante et qu’elle soit proportionnée au but recherché (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188/15 ; Soc, 8 juillet 2020, n°18-23.743 ; Soc, 14 avril 2021, n°19-24.079).

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