La contestation d’une attestation de suivi, possible mais à certaines conditions

(Cass. soc., 26 octobre 2022, n°21-17.484)

Pour rappel, selon les articles L 4624-7 et R 4624-45 du Code du travail, le salarié ou l’employeur peut saisir dans un délai de 15 jours le Conseil de prud’hommes, selon la procédure accélérée au fond, aux fins de contester les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale.

En d’autres termes, sont contestables par l’employeur ou le salarié :

  • l’avis médical d’aptitude ou d’inaptitude d’un salarié bénéficiant d’un suivi médical renforcé en raison de son affectation sur un poste à risque, (article L 4624-2 du Code du travail)
  • l’avis médical d’inaptitude physique, (article L 4624-4 du Code du travail)
  • et toutes préconisation d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail lesquelles sont prises en considération de l’âge ou l’état de santé physique ou mental du travail (article L 4624-3 du Code du travail)

En revanche, ne sont susceptibles d’aucun recours dans les formes prescrites par les articles L4624-7 et R 4624-25 du code du travail :

  • les vices de procédure affectant la procédure d’aptitude ou d’inaptitude,
  • les contestations sans lien avec l’état de santé du salarié et liées à l’impossibilité matérielle pour l’employeur de respecter une préconisation de la médecin du travail,
  • les contestations afférentes à l’origine professionnelle de l’inaptitude,

Ce type de contentieux relevant, par principe, uniquement de la compétence du bureau de jugement du Conseil de prud’hommes.(Cass.avis 17 mars 2021, n°2170.002 ; QR min. trav. mis à jour le 7-4-2022 : travail-emploi.gouv.fr)

Ainsi, en l’absence de précision, l’on pouvait légitimement s’interroger sur la possibilité de contester une attestation de suivi devant le Conseil de prud’hommes dès lors que tout laissait croire que celle-ci n’était susceptible d’aucun recours puisqu’elle ne contenait aucun avis, propositions, conclusions écrites ou indications de nature médicale.

Réponse y est désormais apportée : par un arrêt inédit en date du 26 octobre 2022, la Cour de cassation confirme que l’attestation de suivi peut, dans certains cas, valoir avis du médecin du travail et faire ainsi l’objet d’une contestation par le salarié ou l’employeur. (Cass. soc., 26 oct. 2022, n°21-17.484)

***

Dans cette affaire, une salariée a été embauchée en qualité d’agent de vente au sein de la SNCF en décembre 2000 et faisait l’objet d’un aménagement de son poste de travail depuis 2013.

A l’issue d’une visite médicale intervenue le 18 décembre 2019, le médecin du travail avait remis une attestation de suivi individuel de l’état de santé mentionnant cependant la réserve suivante : « pas de station débout prolongée pas de port de charges > 2KG dans l’attente des examens complémentaires. A revoir au plus tard le 29/02/2020 par le médecin du travail ».

Lors d’une nouvelle visite médicale fixée le 27 février 2020 dans le cadre du suivi périodique, le médecin du travail avait, cette fois-ci, remis à la salariée une nouvelle attestation de suivi, sans mentionner une quelconque proposition de mesure individuelle d’aménagement du poste de travail.

Ainsi, la question se posait de savoir s’il était possible de contester cette attestation.

  • Contester une attestation de suivi mettant fin à des propositions de mesure individuelle d’aménagement, est-ce possible ?

Souhaitant pouvoir continuer à bénéficier d’un aménagement de poste, la salariée saisissait, suivant la procédure accélérée au fond, le Conseil de prud’hommes de Bordeaux afin de lui voir substituer un avis d’aptitude avec réserves.

Par jugement en date du 10 septembre 2020, le Conseil la déboutera, considérant que l’attestation de suivi rendu le 27 février 2020 n’était susceptible d’aucun recours dans les formes prescrites par les articles L 4624-7 et R4624-45 du Code du travail.

La Cour d’appel de Bordeaux ne sera toutefois pas du même avis. Par un arrêt en date du 31 mars 2021, elle va en effet infirmer le jugement déféré considérant que l’attestation de suivi est susceptible d’un recours dans la mesure où celle-ci avait levé les restrictions dont bénéficiait la salariée.

Dans ces circonstances, l’employeur formait un pourvoi considérant qu’une application stricte des dispositions du Code du travail interdisait une telle interprétation, la Cour d’appel ayant selon lui privé sa décision de base légale.

En effet, il argumentait que seule une attestation de suivi contenant une préconisation médicale aurait été susceptible d’un recours, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Toutefois, cette analyse ne sera pas partagée par la Haute juridiction.

  • La contestation d’une attestation de suivi confirmée par la Cour de cassation mais soumises à certaines conditions ?

Par un arrêt du 26 octobre 2022, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l’employeur :

  • en rappelant, en premier lieu, qu’en application de l’article L 4624-7 du Code du travail, le salarié ou l’employeur pouvait saisir le Conseil de prud’hommes d’une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indiques émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale,
  • en considérant, en second lieu, que dès lors que le médecin du travail, qui avait précédemment proposé une mesure individuelle d’aménagement de poste dans l’attente d’examens médicaux complémentaires, revient sur cette proposition, cette décision est susceptible d’un recours.

Par une telle décision, la Haute juridiction semble privilégier une interprétation large des textes.

***

Reste à s’interroger sur la portée de cet arrêt inédit et sur la position définitive de la Cour de cassation, laquelle devrait nous fixer dans ses prochaines décisions.

En tout état de cause, cet arrêt du 26 octobre 2022 reste à relativiser dans la mesure où si la Haute juridiction a confirmé la possibilité d’exercer un recours à l’encontre des attestations de suivi, l’on peut en déduire, des précisions apportées, que plusieurs limites ont été fixées.

En effet, seules les attestations de suivi remettant en cause de précédents aménagements dont bénéficiait la salariée dans l’attente d’examens complémentaires semblent susceptibles d’un recours.

Dès lors, il en ressort clairement que toute attestation de suivi n’est pas nécessairement contestable en justice, étant rappelé que dans cette décision du 26 octobre 2022, la salariée bénéficiait déjà d’un aménagement depuis près de 7 ans ; de sorte qu’il n’est pas impossible que la Cour ait également tenu compte de ce facteur.

Ainsi, si cet arrêt a le mérite de nous apporter quelques précisions, de nombreuses questions demeurent encore à ce jour sans réponses :

Tout d’abord, si la Cour de cassation avait jugé que l’attestation de suivi litigieuse n’était pas contestable selon la procédure accélérée au fond, celle-ci l’aurait-elle été pour autant devant le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes comme c’est déjà le cas lorsque l’employeur est dans l’impossibilité matérielle de suivre les préconisations de la médecine du travail ?

Au-delà de cette décision, l’on peut s’interroger sur la possible contestation d’une nouvelle attestation de suivi contenant des aménagements à l’instar de la précédente, laquelle n’avait pourtant fait l’objet d’aucun recours dans le délai de deux mois ? Une nouvelle attestation de suivi similaire fait-elle repartir un nouveau délai de 15 jours pour contester de tels aménagements ?

De même, une attestation de suivi ne fixant aucun aménagement peut-elle être susceptible d’un recours alors même qu’elle ne contient aucun avis médical ?

Ainsi, il demeure à l’heure actuelle un flou juridique en la matière. De nouvelles précisions ultérieures de la Cour de cassation seront donc les bienvenues.

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