L’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation peuvent-ils se tenir le même jour ?

Cass., soc., 5 juillet 2023, n°21-24.122

Aux termes d’un arrêt rendu le 5 juillet 2023, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur les dispositions applicables à l’entretien professionnel en venant préciser que l’employeur pouvait l’organiser ainsi que l’entretien d’évaluation le même jour dans la mesure où aucun texte légal ne s’y opposait.

Elle pose néanmoins comme condition que les questions d’évaluation ne soient pas évoquées lors de cet entretien professionnel.

***

1. Rappel des faits de l’espèce

Dans cette affaire, les représentants du personnel et un syndicat ont enjoint la Société « d’organiser les entretiens professionnels prévus à l’article L. 6315-1 du code du travail à une date distincte de la tenue des entretiens annuels d’évaluation ».

En l’espèce, l’employeur avait convoqué plusieurs salariés pour leur entretien professionnel et leur entretien d’évaluation, « à la suite » ou « le même jour ».

Pour fonder leur demande, ils soutenaient que, puisque l’entretien professionnel ne devait pas porter sur l’évaluation du travail du salarié, il devait être distinct de celui relatif à l’évaluation de la prestation de travail du salarié, ce qui empêchait l’employeur de convoquer ce dernier à la suite, ou le même jour, de la tenue de l’entretien d’évaluation.

La Cour d’appel de Versailles les a déboutés en indiquant que les dispositions légales applicables et la jurisprudence n’imposaient pas la tenue de ces entretiens à des dates différentes. La seule obligation résidait dans le fait de rédiger deux comptes-rendus distincts, ce qui était le cas au sein de la société.

La Cour de cassation a suivi le raisonnement des juges du fond en considérant qu’il « résulte que ce texte [l’article L. 6315-1 du code du travail] ne s’oppose pas à la tenue à la même date de l’entretien d’évaluation et de l’entretien professionnel pourvu que, lors de la tenue de ce dernier, les questions d’évaluation ne soient pas évoquées. C’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que les dispositions légales n’imposent pas la tenue de ces entretiens à des dates différentes ».

 

2. L’organisation de deux entretiens bien distincts

Compte tenu de leur objet, il convient d’organiser distinctement l’entretien professionnel et l’entretien annuel.

Pour rappel, l’article L.6315-1 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, précise que le salarié bénéficie tous les 2 ans d’un entretien professionnel, apprécié de date à date. Ce dernier doit être consacré aux perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi. Il comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l’expérience, l’activation du compte personnel de formation (CPF), les abondements de l’employeur à ce compte et le conseil en évolution professionnelle.

Il convient en outre de préciser que le législateur a expressément indiqué que cet entretien ne doit pas porter sur l’évaluation du travail du salarié. Cette précision a toute son importance : l’entretien professionnel doit donc seulement s’apparenter à un échange sur les potentialités du salarié et non sur le travail en tant que tel de ce dernier.

De son côté, et comme son nom l’indique, l’entretien d’évaluation sert à évaluer le travail du salarié, en permettant généralement de discuter et mesurer sa performance au cours d’une période et de fixer éventuellement les objectifs professionnels pour l’avenir. Cela étant dit, il n’est pas légalement obligatoire, sauf à ce qu’une convention collective le prévoit (Cass. soc., 10 novembre 2009, n°08-42.114). Il est par principe annuel mais sa périodicité peut être plus courte.

Il convient enfin de rappeler que cet entretien devrait aussi permettre d’évoquer la charge de travail du salarié. En effet, la Cour de cassation a pu juger récemment que l’employeur qui ne justifie pas avoir mis en œuvre des entretiens annuels permettant d’évoquer la charge de travail du salarié et son adéquation avec sa vie personnelle, manque à son obligation de sécurité (Cass. Soc., 3 avril 2023, n°21-20.043).

En définitive, la Cour de cassation profite de l’occasion pour rappeler l’obligation qu’à l’employeur d’organiser distinctement l’entretien professionnel et l’entretien annuel compte-tenu de leur objet, ce qui implique qu’il ne soit pas possible d’organiser un seul et unique entretien.

Ce sont donc bien deux entretiens qui doivent être réalisés de façon bien distincte même s’ils peuvent toutefois se tenir le même jour.

 

3. Possibilité d’organiser l’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation le même jour

Pour la première fois, la Cour de cassation valide donc expressément la possibilité d’organiser l’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation à la même date.

Nous saluons cette souplesse apportée par les Hauts Magistrats tant l’organisation de ces deux entretiens peut s’avérer chronophage pour les entreprises. En effet, cette dernière est bien souvent source de difficultés, compte tenu notamment du temps relativement long de ces échanges et de la disponibilité des managers d’un côté et des salariés de l’autre.

Se pose en outre la question purement pratique de l’organisation de ces entretiens.

Il est à noter que, contrairement à la Cour d’appel, la Cour de cassation n’impose pas formellement de tenir deux comptes rendus distincts.

Pour autant, il nous paraît plus que conseillé de rédiger systématiquement deux comptes-rendus séparés, de façon à pouvoir démontrer que qu’ils ont bien été distincts et que l’entretien professionnel ne traite à aucun moment de l’évaluation du salarié.

Dans ce cadre, nous recommandons d’utiliser des formulaires différents et de faire signer séparément le salarié, pour chacun des comptes-rendus rédigés. En effet, se contenter d’un formulaire unique, qui comporterait seulement des sections distinctes, pourrait donner lieu à des contentieux et doit selon nous être proscrit.

Ceci est d’autant plus vrai que si l’employeur n’a pas la capacité de démontrer que les entretiens professionnels se sont bien tenus tous les deux ans, ce dernier pourrait être tenu d’abonder le compte personnel de formation des salariés concernés pour défaut de réalisation de ses obligations.

S’agissant de la tenue, à proprement parlé, de ces entretiens, il convient de préciser que le Code du travail n’a pas prévu de modalité spécifique d’organisation de l’entretien professionnel. Dans ce cadre, rien ne s’oppose à ce qu’ils soient réalisés sous forme de visioconférence, à condition que l’entretien professionnel « respecte bien les conditions énoncées à l’article L. 6315-1 du code du travail et en particulier qu’il donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié » (L’entretien professionnel, Questions-réponses n°8, mis à jour 30 septembre 2022).

Relevons enfin que cette décision a été rendue au visa des dispositions légales antérieures à la loi Avenir professionnel de 2018. Pour autant, les modifications intervenues depuis ne nous paraissent pas remettre en cause le principe posé par cet arrêt, eu égard à la rédaction actuelle desdites dispositions légales. Il est donc possible à notre sens de transposer cette décision à la situation actuelle.

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