Logement : une nouvelle loi rééquilibrant les droits des propriétaires
28 septembre 2023
En juillet dernier, la loi n°2023-668 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite[1] a été promulguée et est entrée en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 29 juillet 2023. Elle vient modifier la loi du 6 juillet 1989 régissant les contrats de baux d’habitation.
Cette nouvelle loi s’inscrit dans une volonté de rééquilibrage des droits des bailleurs face aux locataires, dont la situation, qu’il s’agisse de squats ou d’impayés locatifs, s’avérait en réalité difficile à régulariser au vu de la longueur des procédures et de la position des tribunaux, souvent protecteurs de la « partie faible ».
L’intention du législateur, telle que décrite par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 juillet 2023[2], fut la suivante : « en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu accélérer la procédure de résiliation du bail en cas de défaut de paiement du loyer ou des charges ou de non-versement du dépôt de garantie, ainsi que la procédure judiciaire d’expulsion. Ce faisant, il a cherché à protéger le droit de propriété (…) ces dispositions ne privent pas la personne intéressée de la possibilité de se défendre ou d’exercer les recours dont elle dispose selon les conditions de droit commun[3]. » Le Conseil constitutionnel a déclaré cette loi conforme à la Constitution.
Nous vous proposons une revue synthétique des modifications apportées par cette loi, puis une analyse plus pratique de ses premières applications.
I. QUELS SONT LES MODIFICATIONS APPORTEES PAR CETTE LOI ?
Deux séries de dispositions sont insérées dans cette loi concernant deux situations différentes : les impayés locatifs (non-paiement du loyer prévu par un contrat de bail) et le squat (occupation sans droit ni titre).
1. Répression plus sévère du squat
Le squat était auparavant uniquement défini par l’article 226-4 du Code Pénal comme une « introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». Plusieurs mesures sont introduites dans cette loi et élargissent cette notion :
- Création d’un nouveau délit « d’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel » : afin de sanctionner le squat de locaux autres qu’un domicile. Ce délit est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende.
- Elargissement du champ d’application du délit de violation de domicile à tout local d’habitation, que la personne y habite ou non, et qu’il s’agisse de sa résidence principale ou non ;
- Aggravation de la peine en cas de squat d’un logement, lequel constitue un délit de violation de domicile : la peine est de 3 ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende (avant : 1 an / 15.000 €) ;
- Répression des instigateurs de squats, lesquels prétendent qu’ils sont propriétaires des logements : la peine est de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende ;
- Répression de la propagande ou de la publicité facilitant ou incitant les squats : la peine est de 3.750 € d’amende.
2. Sécurisation des bailleurs en cas d’impayés de loyers
Afin de raccourcir la procédure en matière d’impayés de loyers, qu’il s’agisse d’une demande d’expulsion ou d’une simple demande de paiement de loyer, des modifications importantes ont été adoptées :
- Insertion systématique dans les contrats de location d’une clause résolutoire en cas d’impayés de loyers : il s’agit d’une clause indiquant qu’en cas de non-paiement d’une seule échéance de loyer, le bailleur peut mettre en œuvre une procédure d’expulsion, par l’envoi préalable d’un commandement de payer les loyers. Si la plupart des baux d’habitation contenaient déjà ce type de clause, en son absence la procédure s’avérait plus longue et son issue moins certaine. Aujourd’hui, dans la plupart des tribunaux en zone tendue, des audiences « ACR », acronyme d’« acquisition de la clause résolutoire » sont organisées pour traiter rapidement ces procédures, notamment en référé. Ce constat est de droit dès lors que le commandement n’est pas apuré dans le délai prévu à cet effet, qui a été réduit.
- Réduction à 6 semaines du délai conditionnant la prise d’effet de la clause résolutoire insérée dans le contrat, (laquelle ne prenait auparavant effet que 2 mois après un commandement de payer demeuré infructueux) ; le juge ne peut alors que constater l’acquisition de la clause résolutoire. Les effets de cette clause peuvent être toutefois suspendus, à deux conditions cumulatives, ce qui est également une nouveauté de la loi.
- Conditionnement de l’octroi de délais de paiement pour le locataire, qui doit non seulement être en situation de régler sa dette locative mais aussi avoir repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience.
D’autres formalités procédurales ont été simplifiées afin d’accélérer le processus entre le début des impayés et la date d’audience (réduction à deux mois ou deux fois le montant du loyer mensuel hors charges du montant à partir duquel la saisine de la CCAPEX est et réduction à 6 semaines du délai minimal de 2 mois entre la délivrance de l’assignation et la date d’audience quand la saisine de la CCAPEX n’est pas obligatoire.
Enfin des mesures réduisant la possibilité d’obtenir des délais pour quitter les lieux, lorsqu’une expulsion est prononcée, ont été adoptées :
- Réduction de la durée pendant laquelle le juge peut accorder des délais pour quitter les lieux : le juge pourra dorénavant accorder des délais de paiement compris entre un mois et un an (en comparaison à 3 mois et 3 ans auparavant).
- Suppression du délai de deux mois avant une expulsion, lorsque l’occupant est de mauvaise foi ou est entré dans les locaux à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte.
Pour synthétiser, voici un schéma de la procédure ainsi modifiée :
* d’après la clause résolutoire insérée dans le contrat de bail
** La saisine de la CCAPEX n’est obligatoire que dans le cas d’impayés consécutifs de 2 mois ou plus, ou si la dette est au moins égale à 2 fois le montant du loyer (article 24 § I)
*** « au moins » : le jour même de l’expiration du délai est possible (jurisprudence sur la computation des délais en mois : Cour d’appel de Paris, 11 février 2020[4]. La loi du 27 juillet 2023 n’apporte aucune précision mais la jurisprudence nous laisse penser qu’il est possible d’assimiler le délai exprimé en semaines aux délais exprimés en jours : Cour de cassation, 14 février 2002[5]. Voir si applicable avec ce nouveau délai exprimé en semaines ? Il faudra attendre l’appréciation des juges sur ce point)
II. QUELS SONT LES PREMIERS RETOURS DE SON APPLICATION PAR LES TRIBUNAUX?
Le mois de septembre est l’occasion d’un agenda chargé d’audiences pour le cabinet NMCG, qui nous permet de dresser un premier bilan de l’application de cette loi par les tribunaux.
1. La nouvelle loi est-elle applicable aux contrats en cours ?
« La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif » … Ne comportant pas de décret d’application, cette loi du 27 juillet 2023 est d’application immédiate.
La Cour de Cassation juge de manière constante que « la loi nouvelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées »[6]. Dans un avis du 16 février 2015[7], elle précisait au sujet de la Loi ALUR que « la loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 en ce qu’il donne au juge la faculté d’accorder un délai de trois ans au plus au locataire en situation de régler sa dette locative s’applique aux baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014 ». Dans la notice explicative de cet avis, la Cour précisait que cela s’expliquait par le fait que l’article 24 s’analyse « comme un effet légal du bail, s’agissant non pas d’un dispositif soumis à la liberté contractuelle des parties, mais d’un pouvoir accordé au juge par la loi ».
Par analogie, les nouvelles dispositions de la loi du 27 juillet 2023 venues modifier l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 seraient donc applicables à tous les contrats.
C’est d’ailleurs la position de tous les tribunaux devant lesquels se sont tenues les premières audiences assurées par le Cabinet NMCG : désormais l’octroi de délais de paiement est conditionné à la reprise du paiement intégral du loyer avant l’audience, quelle que soit la date de signature du contrat de bail.
De même devant le JEX (juge de l’exécution), un locataire ne peut plus obtenir des délais pour quitter les lieux que dans la limite d’un an, et ce même s’il a saisi ce juge avant l’entrée en vigueur de la loi, en sollicitant le délai maximal de 3 ans alors en vigueur.
2. Les délais de paiement peuvent-ils être accordés sans reprise du paiement?
Il semblerait que non, au vu des nouvelles dispositions de la loi qui imposent la reprise du paiement intégral du loyer avant l’audience, et ce même en cas d’accord du bailleur.
Toutefois certains juges ont opté pour une autre solution : renvoyer le dossier à une audience ultérieure, en incitant les locataires à régler ne serait-ce qu’un mois de loyer avant l’audience, afin de pouvoir leur octroyer des délais de paiement. Cette position est critiquable, car elle allonge finalement les délais de procédure alors que le nouveau régime vise à les raccourcir, mais s’inscrit dans une volonté d’équilibre des droits des parties et valorise la présence des défendeurs à l’audience.
Il conviendra de dresser le bilan de ces nouvelles dispositions dans un an.
[1] Texte intégral accessible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047897040
[2] Décision n°2023-853 DC du 26 juillet 2023
[3] Id, § 88 et 89.
[4] CA Paris, 11 février 2020, RG N°17/20927.
[5] Civ. 2ème, 14 février 2002, Crédit mutuel c/ Pinto-Rodigues, RG n°99-13.000.
[6] Cass. 3è, civ., 1987 : Gaz. Pal. 1988, 1, 84, 3ème civ, 8 février 1989 i n° 87-18.046, 3ème civ. 15 mars 1989 n°87-19.942, 3ème Civ. 13 décembre 1989 n° 88-11.056, cf aussi le rapport annuel de la Cour de Cassation de 2014.
[7] Avis de la Cour de cassation n°14-70.011.