Nouveau revirement de la Cour de cassation sur le harcèlement moral

Cass. Soc. 19 avril 2023 n° 21-21.053

Par un arrêt rendu en formation plénière et destiné à une large publicité, la chambre sociale de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en matière de harcèlement moral, en jugeant que le salarié qui dénonce de tels faits n’a plus besoin de les qualifier lors de sa dénonciation.

Cette décision, qui prend le contre-pied de la solution qu’elle avait retenue en 2017, nécessite d’examiner plus précisément l’affaire ayant conduit à ce revirement jurisprudentiel (I), lequel, au regard des dernières décisions rendues par la Cour, pouvait paraître prévisible (II).

1. Retour sur les faits et la procédure afférente à cette affaire

Dans l’affaire portée devant la Haute juridiction, une salariée travaillant en tant que psychologue dans une association avait été licenciée pour faute grave, pour avoir :

  • gravement mis en cause l’attitude et les décisions prises par le directeur la concernant, mais aussi plus généralement le fonctionnement de l’association,
  • porté des accusations grave à l’égard de ses collègues de travail.

Soutenant avoir subi et dénoncé des faits de harcèlement moral, elle avait saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant notamment à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes au titre notamment du harcèlement moral, ou encore de la violation de l’obligation de sécurité.

La salariée estimait ainsi se prévaloir de la protection accordée aux salariés dénonçant des faits de harcèlement moral et prévue à l’article L.1152-2 du Code du travail. Pour mémoire, cet article prévoit qu’aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, ou encore ne peut être sanctionnée, licenciée ni faire l’objet d’une mesure discriminatoire.

Dans un arrêt du 15 avril 2021, la cour d’appel de Caen, estimant que la formulation de la lettre de licenciement autorisait la salariée à revendiquer le bénéfice des dispositions protectrices de l’article L. 1152-2 du Code du travail, avait jugé le licenciement de la salariée nul, en l’absence de démonstration d’une quelconque mauvaise foi de cette dernière.

L’employeur, contestant cette décision, a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Celui-ci reprochait aux juges du fond d’avoir jugé le licenciement nul sur le fondement précité alors même que dans sa lettre dans laquelle elle dénonçait le comportement du directeur, la salariée n’avait pas qualifié les faits reprochés d’agissements de harcèlement moral. Il ajoutait que la lettre de licenciement ne faisait également aucune référence à une dénonciation de tels faits.

En clair, l’employeur reprochait à la cour d’appel d’avoir :

– surinterprété les propos de la salariée et ainsi d’avoir privé sa décision de base légale,

– dénaturé la lettre de licenciement.

Toutefois, la Cour de cassation suit le raisonnement de la cour d’appel en jugeant que : « le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce »

Elle rejette ainsi le pourvoi formé par l’employeur.

2. Un revirement de jurisprudence prévisible ?

A travers cette décision, la Cour opère un revirement par rapport à sa jurisprudence de 2017 (Cass. Soc. 13 sept. 2017 n°15-23.045), où elle établissait qu’il revenait au salarié de qualifier les faits de harcèlement moral si celui-ci souhaitait bénéficier de la protection accordée à l’article L. 1152-2 du Code du travail.

Or, cette décision rigoureuse qui pouvait être considérée comme pleine de bon sens, avait été critiquée par une partie de la doctrine, raison pour laquelle la Cour avait rendu plusieurs décisions laissant amorcer un changement de position.

En effet, dès 2021, la Cour avait jugé que si un salarié dénonce des faits sans les qualifier d’agissements de harcèlement moral mais que l’employeur utilise une telle qualification dans la lettre de licenciement, alors le licenciement doit être jugé nul (Cass. Soc., 9 juin 2021, n° 20-15.525).

Par ailleurs, l’année dernière, la Cour avait jugé nul le licenciement d’un salarié ayant usé de manière non abusive de son droit à liberté d’expression (Cass. Soc., 16 février 2022, n° 19-17.871).

Ainsi, si une telle solution a à première vue de quoi surprendre, celle-ci s’inscrit dans un courant jurisprudentiel récent adopté par la Haute juridiction, visant à faciliter le bénéfice de la protection accordée à l’article L. 1152-2 du Code du travail.

En tout état de cause, il convient de rappeler que cette protection ne vaut que lorsque le salarié n’agit évidemment pas de mauvaise foi. A contrario, l’employeur peut sanctionner voire même licencier le salarié ayant agi en ayant connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce. Cette mauvaise foi peut d’ailleurs être directement caractérisée par les juges du fond, sans qu’il n’en soit fait expressément mention dans la lettre de licenciement (Cass. soc., 16 septembre 2020, n° 18-26.696).

Elle demeure pour autant extrêmement difficile à rapporter…Prudence donc.

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