Peter pour faire sortir l’équipe de son bureau ? Une blague de mauvais goût qui justifie un licenciement

CA Paris 31 mai 2022 – RG n°20/02985

On dit du droit social qu’il s’agit d’un droit vivant, les cas examinés chaque jour dans les prétoires en sont un constant rappel.

Celui étudié ci-après ne déroge pas à la règle, loin de là.

D’une affaire de… « prout » (oui oui vous avez bien lu) la Cour rappelle que les comportements inappropriés des salariés peuvent conduire à un licenciement, lequel est parfaitement justifié.

 

– Un salarié qui ne manque pas d’air

Dans ce dossier, le salarié, responsable commercial, a été licencié pour cause réelle et sérieuse suite à un « manque total de bienséance, de tenue en société et surtout d’hygiène ».

Il considère que le licenciement est injustifié et saisit les prud’hommes.

Qu’en est-il ?

Examinons les faits reprochés (singuliers) pour pouvoir apprécier…

Tout commence par des toilettes pour femmes tellement sales que la femme de ménage elle-même en ressort écœurée. Alors qu’une employée se plaint de leur état (plaintes émises entre collègues au niveau des bureaux), le responsable commercial met cela sur le dos des clients et indique devant eux qu’ils n’ont pas à utiliser les toilettes « même s’ils chient sur les murs je m’en fous ! ».

Sauf que la vidéosurveillance permet de constater que la seule personne qui les a utilisés est… le responsable commercial lui-même !

Cela ne s’arrête pas là.

Ce même responsable a cru pouvoir faire une réflexion sur le poids d’un vendeur, et lui dire qu’il avait grossi et qu’il « avait du ventre ».

Pour conclure la conversation, il ne trouve pas d’autre idée que lâcher un pet « particulièrement malodorant » en indiquant « il fallait qu’ils sortent » « du coup arme massive obligatoire ». Il renouvellera la même, singulière, technique avec une autre salariée.

D’autres griefs sont évoqués, plus annexes et plus « classiques » (retards, énervements, comportement inadapté vis-à-vis des collègues et de la clientèle). A titre d’exemples, il a pu dire à des vendeurs qui arrivent plus tôt le matin que la société ne « paiera pas [leurs] heures supplémentaires » et qu’ils ne sont que des « pantins », ou encore à un autre qui tente de résoudre un problème client « vous êtes ridicule, vous êtes cinglé, vous baissez votre froc ».

L’expérience nous le démontre, rien n’arrête certains salariés et tous les subterfuges sont bons pour contester leur licenciement.

En l’occurrence, le responsable commercial fait feu de tout bois :

  • son licenciement ? il cacherait une discrimination « radicale » de la part de l’employeur qui a refusé de le faire passer Chef d’Agence. Comme il aurait refusé de stagner au poste de Responsable Commercial, la société l’aurait licencié pour des motifs fallacieux,
  • son attitude ? il aurait subi une accumulation de reproches et aurait souffert de dépression à cause de l’employeur qui aurait manqué à son obligation de sécurité,
  • la vidéosurveillance ? la preuve est illicite,
  • sur les pets malodorants ? il s’agit de flatulences involontaires (tentant là de se justifier par un problème gastrique et donc de rattacher les faits à son état de santé).

 

– Une Cour qui s’attache à faire du droit

Si les faits reprochés peuvent prêter à sourire, la Cour garde son flegme et fait ce qu’elle sait faire : du droit.

Sur l’origine de l’état des toilettes, la Cour prend connaissance de l’accord d’entreprise sur l’utilisation des moyens de surveillance. Elle constate qu’il est prévu un examen commun entre la Direction et deux représentants du personnel. La société ne produisant pas d’éléments établissant que les délégués du personnel ont constaté que c’était bien le salarié qui sortait des toilettes pour femmes, la preuve n’est donc pas légalement rapportée. L’adage selon lequel « le doute profite au salarié » doit s’appliquer (les règles légales sont faites pour protéger les responsables, c’est bien connu…).

Sur la discrimination, les éléments objectifs produit par la société ont permis d’écarter rapidement ces allégations (en l’occurrence, l’évolution de carrière, la hausse de rémunération, les entretiens professionnels, l’organisation de l’entreprise…).

Sur le manquement à l’obligation de sécurité allégué, aucun élément ne permet de rattacher la dépression aux conditions de travail.

Sur les pets prétendument involontaires, la Cour ne s’est pas laissée convaincre, le salarié n’apportant vraisemblablement aucun élément – notamment médical – justifiant ses dires. Le comportement irrespectueux et les propos déplacés ont quant à eux été suffisamment démontrés et justifient le licenciement.

Bilan des courses, les flatulences du salarié ont bien été une « arme de destruction massive », non pas pour « inviter » les collègues à quitter le bureau mais pour l’inviter à quitter l’entreprise après 14 ans d’ancienneté…

Entre le savoir-vivre et le vivre sans, vous savez désormais quel choix faire…

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