Recours contre un avis d’inaptitude […]

(Cass. Soc., 7 décembre 2022, n°21-11.948 FS-D, C. c/ Sté le Belvédère)

L’inaptitude est l’impossibilité physique ou psychique que rencontre un salarié d’occuper son emploi. Elle est mesurée par le médecin du travail, par comparaison entre l’état de santé du salarié et le poste de travail qu’il occupe. Depuis le 1er janvier 2017, le salarié a la faculté de saisir le juge judiciaire, via un recours devant la formation de référé du Conseil de prud’hommes aux fins de contester les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale (art. L 4624-7 I du Code du travail).

Le juge peut, s’il l’estime nécessaire, confier une mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail (art. L 4624-7 II du Code du travail). Au terme de cette procédure, le juge prud’homal rend un avis qui se substitue à celui du médecin du travail (art. 4624-7, III du Code du travail).

Toutefois, afin de prendre sa décision, le juge n’est pas tenu de s’en tenir aux conclusions du médecin inspecteur du travail dont il a sollicité l’expertise ; il peut s’appuyer sur d’autres éléments et notamment sur le rapport du médecin mandaté par l’employeur. C’est ce qu’il ressort de la décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 7 décembre 2022. (Cass. Soc., 7 décembre 2022, n°21-11.948 FS-D)

 

I. Un avis d’inaptitude contesté par une travailleuse handicapée

Dans cet arrêt , les faits concernaient une salariée atteinte depuis sa naissance d’un handicap se traduisant par l’absence de bras droit. Employée en qualité de personnel de nettoyage au sein d’une résidence médicalisée, la salariée a été reconnue en invalidité première catégorie puis placée plusieurs fois en arrêt de travail à la suite de douleurs à l’épaule gauche, sursollicitée en raison de son handicap. Cette dernière a été finalement déclarée inapte par le médecin du travail, sans possibilité de reclassement.

La salariée, alors âgée de 49 ans et souhaitant continuer à travailler, a saisi le Conseil de Prud’hommes d’un recours contre cet avis d’inaptitude, lequel a ordonné une mesure d’expertise et désigné un médecin inspecteur du travail. Ce dernier était chargé de préciser si l’état de la salariée s’était dégradé depuis son embauche et si elle pouvait reprendre son emploi. Le médecin expert a examiné la salariée en présence d’un médecin du travail mandaté par l’employeur comme l’y autorise l’article L 4624-7 II du Code du travail. Le médecin expert a conclu à l’aptitude de la salariée tandis que le médecin du travail mandaté par l’employeur a conclu à l’aggravation de son état de santé. Le Conseil de Prud’hommes a tranché : il a suivi les conclusions du médecin-expert et constaté que la salariée était apte à son emploi. Il a en conséquence ordonné à l’employeur de réintégrer la salariée dans les effectifs de la société.

 

II. Le juge prud’homal est-il contraint de suivre les conclusions du médecin expert ?

La cour d’appel, saisie du litige par l’employeur, n’a pas suivi les conclusions du médecin inspecteur et a, au contraire, confirmé l’avis d’inaptitude émis par le médecin du travail. Elle a motivé sa décision en relevant un risque de développement d’un handicap invalidant de nature à placer la salariée dans un état de dépendance si celle-ci était maintenue dans son emploi, nonobstant les aménagements préconisés. La cour a également relevé que la préservation de son autonomie excluait le maintien dans un emploi de nature à générer des troubles musculo-squelettiques.

La question soumise à la Cour de cassation dans cet arrêt était celle de savoir si, lorsqu’il a sollicité l’expertise du médecin inspecteur, le juge était libre de suivre ou non les conclusions de ce dernier ?

La Cour de cassation confirme cette décision et rejette le pourvoi formé par la salariée qui faisait grief à la cour de s’être, à tort, fondée exclusivement sur les conclusions du rapport d’expertise établi par le médecin du travail mandaté par l’employeur et d’avoir écarté les conclusions du médecin-expert.

La Chambre sociale énonce que les juges du fond ne se sont pas fondés exclusivement sur le rapport du médecin mandaté par l’employeur mais sur un faisceau d’indices pour conclure à l’inaptitude de la salariée. En effet, les juges du fond se sont prononcés après examen des conclusions du médecin expert et du médecin du travail mandaté par l’entreprise, mais également des antécédents médicaux de la salariée, la nature de ses tâches au sein de l’entreprise et de son âge. Le juge peut donc s’appuyer sur plusieurs éléments pour prendre sa décision.

Plusieurs apports peuvent être tirés de cette décision rendue dans le cadre d’une contestation judiciaire des avis d’inaptitude. En premier lieu, le juge prud’homal est libre de ne pas suivre les conclusions du médecin inspecteur dont il a sollicité l’expertise à la condition, semble-t-il, qu’il prenne sa décision à l’aune de tous les éléments soumis à son examen et qu’il en tire des conclusions objectives. En second lieu, lorsque le juge prud’homal décide de confier les mesures d’instruction à un médecin inspecteur, l’employeur a tout intérêt de mandater un médecin du travail afin qu’il rédige son rapport, celui-ci pouvant être pris en compte dans l’analyse de la juridiction pour apprécier la situation du salarié.

Enfin, cette solution interroge également sur l’opportunité du maintien du contentieux d’inaptitude médicale aux juges prud’homaux, lesquels ne disposent d’aucune compétence technique en la matière.

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