Une proposition de loi capillotractée

PROPOSITIONS DE LOI N° 1640 ET 274 DE LA 16E LÉGISLATURE VISANT À RECONNAITRE ET À SANCTIONNER LA DISCRIMINATION CAPILLAIRE ADOPTÉE PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE LE 28 MARS 2024

Dans le tumulte des débats sur l’égalité des chances, une question qui « décoiffe » est actuellement débattue chez nos politiques : celle de la discrimination capillaire.

Si cette proposition de loi s’attaque à des problèmes bien réels, on pourrait se demander si elle est vraiment nécessaire, à l’aune des textes existants.

Mais après tout, peut-être que cette proposition de loi est le dernier coup de « peigne » nécessaire pour « démêler » les préjugés….

 

LES CAS CONCRETS DE DISCRIMINATION CAPILLAIRES :

Les juges ont déjà eu à « s’arracher les cheveux » sur des cas concrets.

Ainsi :

  • Un salarié a postulé sur un poste en interne. Celui-ci lui a été proposé à la condition qu’il coupe ses cheveux. Ayant refusé, il n’a pas obtenu sa promotion. La Cour a prononcé la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur considérant qu’il s’agit là d’une discrimination liée à l’apparence physique (CA Rennes, 12 octobre 2011, n° 10/00985).
  • Une salariée a signé une rupture conventionnelle et a indiqué par la suite que son consentement a été vicié. Elle précise ainsi avoir signé ladite rupture dans un contexte de harcèlement moral, sa supérieure hiérarchique critiquant son style « gothique » et ses « cheveux bleus ». La Cour d’appel a confirmé la nullité de la rupture à l’aune des « remarques désobligeantes » (CA Riom, 26 octobre 2021, n° 19/00451).
  • Le licenciement pour faute grave d’une salariée, basé sur des actes de discrimination et de harcèlement d’une employée envers ses subordonnés, a pu être validé par les juges du fond. En effet, elle tenait des propos racistes et discriminatoires, notamment des remarques telles que « pourquoi tes cheveux sont crépus ? » (CA Aix-en-Provence, 3 décembre 2021, n° 18/05847).
  • Selon la Cour de cassation, interdire à un steward de porter des tresses africaines constitue une discrimination fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe (Cass. soc. 23 novembre 2022, n° 21-14.060)

Par ailleurs, selon des études invoquées par Monsieur Olivier Serva, le député ayant présenté le projet de loi (notamment l’étude CROWN 2023 co-menée par Dove & LinkedIn) :

  • Les cheveux texturés sont 2,5 fois plus susceptibles d’être perçus comme étant moins professionnels.
  • Les femmes métissées/noires aux cheveux texturés sont deux fois plus susceptibles de subir des micro-agressions sur leur lieu de travail que les femmes métissées/noires ayant les cheveux lissés.
  • 2 femmes métissées/noires sur 3 modifient la texture de leurs cheveux pour un entretien professionnel et parmi elles, 41% lissent leurs cheveux bouclés.
  • 31% des femmes blondes se sont teintes les cheveux en brun pour paraître plus intelligentes.
  • Les personnes aux cheveux roux subissent du harcèlement professionnel lié à la couleur de leurs cheveux.
  • 30% des hommes chauves ont moins de chances de progresser dans une entreprise.

Il y a donc une réalité tangible.

 

CE QUE LA PROPOSITION DE LOI PROPOSE :

La proposition de loi vise à modifier :

  • L’article du Code du travail qui liste les motifs de discrimination interdits (c. trav. art. L. 1132-1)
  • L’article du Code pénal qui sanctionne par 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende les discriminations (c. pé art. 225-1)
  • La loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (loi 2008-496 du 27 mai 2008, art. 1).

Parmi le listing des motifs de discrimination, il est proposé d’insérer, après le mot
« physique », « notamment capillaire ».

Il convient de préciser qu’un amendement a retiré du texte initial l’idée d’indiquer en sus les termes « la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux ».

 

EST-CE VRAIMENT NÉCESSAIRE – JURIDIQUEMENT PARLANT – ?

La nécessité d’une telle loi reste floue. Bien que sa promulgation puisse avoir une portée symbolique, voire politique, elle n’apparait pas nécessaire juridiquement.

C’est un peu comme chercher une solution à un problème qui n’existe pas vraiment.

En effet, et comme cela vient d’être exposé, les juges ont déjà pu, sur la base de l’arsenal juridique existant, sanctionner les discriminations capillaires.

Les textes actuels prévoient déjà la prohibition de toute discrimination physique ou celle liée à l’appartenance ou de non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race.

Pourquoi indiquer « discrimination physique et notamment capillaire » et pas d’autre cas ? Commencer à donner des exemples pourrait s’avérer sans limite, quid de la discrimination de la talonnette, du mauvais rasage, de la barbe mal taillée ?

Si l’objectif est louable, juridiquement l’ajout n’apporte rien… le Code du travail interdit déjà la discrimination basée sur l’apparence physique, même si la discrimination capillaire n’est pas explicitement mentionnée.

En fin de compte, si cette loi semble manquer d’impact sur le plan juridique, son importance pourrait être davantage politique…

La proposition de loi doit maintenant être examinée (démêlée ?) par le Sénat.

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