Impossibilité pour le Bailleur de locaux commerciaux […]

Cour de cassation, 3e chambre civile, 25 janvier 2023, n°22-10.648

Dans un arrêt en date du 25 janvier 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a retenu que : caractérise un trouble manifestement illicite, la mise en œuvre d’une garantie à première demande par le bailleur de locaux commerciaux pour obtenir le paiement de loyers impayés durant la période de fermeture des commerces due à la covid-19 au regard de l’interdiction légale pour les bailleurs de mettre en œuvre les sûretés personnelles garantissant le paiement des loyers durant ces périodes protégées.

Dans l’affaire présentée à la Cour, un Bailleur de locaux commerciaux (une Société Civile Immobilière en l’espèce) avait obtenu de son locataire, lors de la conclusion du bail commercial, la fourniture d’une garantie à première demande consentie par une banque en cas de non-paiement des loyers par le locataire.

Ce type de garantie, désormais courante dans le cadre des baux commerciaux, permet au bailleur d’obtenir une sûreté forte dans la mesure où la Banque est contrainte de s’exécuter et de procéder au paiement au profit du Bailleur, dès la première demande de ce dernier, sans pouvoir lui opposer d’exception.

En l’espèce, le locataire n’ayant pas procédé au paiement des loyers en raison de la fermeture de son commerce pendant le second confinement de l’année 2020 lié à la crise sanitaire de la Covid-19, la SCI bailleresse a sollicité la Banque afin de lui régler le montant de la garantie mise à disposition en cas de non-paiement des loyers.

Le locataire a alors agi en référé afin d’interdire à la Banque de procéder au règlement sollicité par le Bailleur pour les loyers impayés.

La question soumise à la Cour dans cette affaire est alors simple : est-il possible pour un Bailleur de solliciter l’application d’une garantie à première demande en cas de loyers impayés durant les périodes d’urgence sanitaire liées à l’épidémie de la Covid-19 ?

La Cour répond par la négative en retenant que « la garantie à première demande constituait une sûreté personnelle régie par l’article 2321 du code civil, la cour d’appel a pu en déduire que sa mise en œuvre […] constituait un trouble manifestement illicite ».

La Haute Juridiction rappelle que « l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 interdit […] la mise en œuvre de toutes sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux ».

En effet, l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans le cadre du second confinement de la population française de l’année 2020 a précisé que : « Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires. ».

Ainsi, la mise en œuvre des voies d’exécution est suspendue pour les loyers commerciaux exigibles à compter du 17 octobre 2020 jusqu’au 1er août 2021 (deux mois suivant la date à laquelle l’activité a cessé d’être affectée par une mesure de police imposée au 1er juin 2021).

Cette neutralisation des sanctions encourues en cas de non-paiement des loyers commerciaux dans le cadre du second confinement de l’année 2020 fait écho à la solution retenue lors du premier confinement par l’article 4 de l’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 qui prévoyait, de même, que les commerces touchés par l’épidémie ne pouvaient « encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux ».

Dès lors, en retenant que la garantie à première demande constitue une sûreté personnelle, la Cour précise dans l’arrêt cité que même cette garantie forte obtenue par le Bailleur est paralysée en cas de défaut de paiement des loyers commerciaux durant les périodes d’urgences sanitaires liées à l’épidémie de la Covid-19 et au confinement de la population française.

Cet arrêt s’inscrit par conséquent dans l’esprit protecteur des textes dérogatoires limitant les sanctions et l’activation de garanties en cas de non-paiement des loyers commerciaux durant la période de crise sanitaire même si, in fine, ces loyers demeurent exigibles et que les locataires de locaux commerciaux demeurent tenus au paiement de ces loyers échus durant la crise sanitaire.

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