Concurrence déloyale : l’emprunt d’éléments d’une communication est protégeable […]

Cour d’appel de Paris 1er mars 2023 n°21/05308

Cette affaire illustre sinon une limite, du moins une condition stricte de preuve pour toute action de concurrence déloyale reprochant à un concurrent ses emprunts d’éléments de communication ou pourquoi pas de site.

Les faits étaient les suivants :

À la découverte en 2018 d’un spot publicitaire de la société L’Oréal lançant une ligne de produits cosmétiques naturels, la société La Phocéenne de cosmétique, commercialisant depuis 2003 une ligne semblable sous la dénomination « Le Petit Olivier », avait assigné la première en se plaignant d’un grand nombre d’emprunts signes à ses yeux une concurrence déloyale.

Reprenant des éléments de deux de ses campagnes diffusées entre 2011 et 2014, la demanderesse mettait en avant pas moins de sept correspondances.

Selon elle, ces correspondances caractérisaient une reprise de l’atmosphère, des images et du style particulier de ses publicités du « Petit Olivier » créant chez les consommateurs sinon une confusion ou à tout le moins une association entre les deux marques.

Reconnaissons-le, l’énumération faisait impression.

Comme dans ses publicités initiales, on retrouvait dans la communication de l’Oréal :

  • Un olivier de grande taille au milieu d’une oliveraie filmé en premier plan ;
  • Puis un plan sur une jeune femme habillée de blanc aux cheveux châtains mi-longs ondulés au milieu d’oliviers ;
  • La caméra se focalisant ensuite sur sa main saisissant une branche d’olivier ;
  • Avant de remonter à son visage alors qu’elle était assise sur une balancelle de forme arrondie et en osier ;
  • Pour finalement présenter un panel de produits de teinte beige présenté sur un fond ombragé d’oliviers.

La société La Phocéenne de cosmétique renforçait ces parallèles de considérations propres à l’ambiance générale des spots (la mise en avant d’un Moulinier dans un cadre baigné de soleil) sur un fond de musique douce avec une voix off.

Elle ajoutait d’ailleurs qu’un parallèle cliché par cliché avait été très clairement effectué par des journalistes d’un magazine spécialisé (LSA), dans un articles mettant en avant les ressemblances.

 

La défenderesse, qui ne contestait pas les correspondances, leur déniait en revanche tout particularisme.

Il s’agissait pour elle d’éléments communs pour des produits cosmétiques (les plans progressifs sur un modèle féminin, cœur de cible) comprenant dans leur composition des produits naturels d’oliviers (arbres, champ, lieu de culture) et que l’on retrouve dans les communications de la majorité des acteurs du secteur (Palmolive, L’occitane, le Petit Marseillais).

La société l’Oréal insistait sur le caractère parfaitement classique de ces paysages du Sud pour de telles promotions, ce qui, suggérait-elle, n’avait pas dû échapper à la demanderesse puisque depuis 2014 elle avait délaissé les extérieurs pour réorienter ses spots sur des intérieurs décorés (mas et bastide).

Et c’est le sens de la solution de la Cour d’appel (CA Paris, 1er mars 2023, RG n°21/05308).

La Cour part du principe de la liberté du commerce en précisant que le seul fait de commercialiser des produits identiques ou similaires à ceux, qui ne font pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, distribués par un concurrent, n’est pas constitutif d’une faute.

Certes, rappelle-t-elle, des manœuvres déployées pour faire naitre une confusion dans l’esprit du consommateur le deviendraient, mais encore faut-il que la déloyauté soit caractérisée par celui qui s’en plaint et la gravité démontrée.

La Cour souligne alors la charge de la preuve du demandeur :

« L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité et la notoriété de la prestation copiée ».

En l’occurrence, la Cour estime que les reprises portent sur des éléments banals de tels produits cosmétiques, dont les caractéristiques de composition sont semblables et dont la mise en lumière est en quelque sorte un passage obligé de promotion.

Pour la Cour, ces éléments sont « pour l’essentiel des éléments banals d’une communication publicitaire centrée sur la composition à base d’huile d’olive de produits cosmétiques, montrant en conséquence des oliviers, la cueillette des olives, les bienfaits en terme de douceur sur le visage et une image de la douceur de vivre dans le soleil du sud ».

La Cour relève que d’autres éléments de second plan, tel le moulin de pressage ou la présentation des produits sur fond neutre en lettres blanches, sont une fois encore impliqués par la composition et courant dans les présentations publicitaires des acteurs du marché (l’Occitane, Body Shop ou Welleda).

Autrement dit pour la Cour, dans ces communications initiales la société La Phocéenne de cosmétique n’a pas développé une identité visuelle spécifique, en s’extrayant des éléments impliqués par ses produits afin de définir une image originale, à même de pouvoir en interdire le remploi par ses concurrents du secteur.

Sur l’invitation de l’Oréal, la Cour relève d’ailleurs la réorientation des communications de la société La Phocéenne de cosmétique depuis 2014 qui ne peut donc sérieusement articuler un risque de confusion de consommateurs en 2018, alors qu’elle présente à ceux-ci un code de communication distinct depuis près de 4 ans.

Et d’une plume alerte, la Cour n’en oublie pas l’argument journalistique en estimant qu’une étude de cas des ressemblances de communication ne préjuge en rien de la « démonstration (judiciaire) d’un risque de confusion fautif susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale ».

Au terme d’une analyse concrète, la Cour rejette donc, comme l’avaient fait les premiers juges, tout comportement contraire aux règles de loyauté de concurrence.

Elle rappelle ainsi que la primauté d’une communication n’emporte pas nécessairement la protection de ses codes. Encore faut-il que ceux-ci soient sinon originaux, du moins spécifiques en ce qu’ils ne sont pas impliqués par la nature des produits promus et toujours actuels à l’acteur qui les revendique.

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