La marque et la deuxième main – l’affaire Chanel

En 2012, la société Chanel accuse une société de revente de produits d’occasion, des cosmétiques (rouge à lèvres, ombre à paupières, parfum) de seconde main. Étaient en cause des échantillons, des produits sans emballages et des produits neufs.

Or, pour la société Chanel, ses produits (neufs ou de seconde main) relèvent d’un réseau de distribution sélectif, c’est-à-dire d’un réseau où seuls des revendeurs sélectionnés peuvent proposer à la vente ses produits (car ils ont été formés à leur préconisation). Autrement dit, selon elle, qualité de seconde main ne dispense pas de cette sélection des revendeurs et la vente hors réseau de sa marque est un usage illicite et parasitaire.

Le litige porté devant la Cour d’appel de Rennes puis la Cour de cassation a soulevé plusieurs questions en droit des marques et en responsabilité délictuelle de droit commun :

  • Le titulaire de la marque peut-il interdire la revente d’échantillons de produits cosmétiques distribués gratuitement aux clients ?
  • Le titulaire de la marque peut-il s’opposer à la revente de produits cosmétiques dépourvus d’emballage ?
  • La commercialisation de produits neufs en seconde main peut-elle engager la responsabilité du revendeur sur le fondement du parasitisme ?

Pour revenir, ne serait-ce qu’un bref instant, aux principes.

La marque est un droit de propriété intellectuelle privatif. Elle est privative, car elle doit pouvoir permettre aux consommateurs d’identifier l’origine du produit sur lequel elle est apposée, c’est sa « fonction essentielle ». En conséquence, le titulaire de la marque peut en principe interdire à tout autre opérateur économique l’usage de sa marque pour des produits identiques ou similaires.

Mais un tel droit a nécessairement pour effet de restreindre la concurrence et la libre circulation des marchandises, principe fondamental au sein du marché intérieur.

La recherche d’une conciliation entre ces deux impératifs de garantie de l’origine des produits d’un côté, et de libre concurrence et circulations des marchandises de l’autre, a abouti à la création de la théorie de l’épuisement du droit : le titulaire de la marque peut interdire l’usage de sa marque pour des produits identiques ou similaires à ceux qu’il commercialise uniquement au moment de leur première mise en circulation dans le marché intérieur.

Une fois les produits commercialisés dans l’espace européen par un opérateur agréé ou le titulaire de la marque, ce dernier ne peut plus s’opposer à la revente de ses produits griffés, sauf motif légitime.

De là, l’action lancée par la société Chanel soulevait au moins trois questions.

 

(1) La distribution gratuite d’échantillons par des distributeurs agréés de la société Chanel à leurs clients constitue-t-elle une première mise en circulation qui a pour effet d’épuiser le droit conféré par la marque Chanel ?

La Cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, retient que la distribution d’échantillons gratuits aux consommateurs par les distributeurs agréés dans un but de démonstration uniquement ne constitue pas une mise en circulation.

La revente d’échantillons distribués à titre gratuit aux consommateurs n’épuise pas les droits du titulaire sur sa marque. Une telle revente ne peut donc avoir lieu sans l’accord du titulaire, au risque de porter atteinte à la fonction essentielle de garantie d’origine des produits de la marque.

La société Chanel était donc parfaitement légitime à interdire la revente des échantillons distribués à ses clients.

 

(2) La société Chanel peut-elle s’opposer à la revente de produits cosmétiques en seconde main dont l’emballage a été ôté ?

Ici, la question de l’épuisement des droits en raison d’une première mise en circulation ne se posait pas puisqu’il s’agissait de produits cosmétiques classiques vendus par des distributeurs Chanel agréés et rachetés par le revendeur à des particuliers.

Par conséquent, la société Chanel avait en principe épuisé son droit puisqu’il y avait eu une première commercialisation des produits en Europe.

Mais, il existe une exception à l’épuisement du droit : le titulaire d’une marque conserve la possibilité de s’opposer à une commercialisation de ses produits déjà en circulation dans le marché intérieur si le propriétaire peut justifier de motifs légitimes, notamment la modification ou l’altération de l’état des produits après la première commercialisation.

Pour s’opposer à la revente d’occasion de ses produits, la société Chanel avance que :

  • Les produits cosmétiques étant affectés d’une période de péremption à compter de leur date d’ouverture, les acquéreurs de produits cosmétiques de seconde main ne peuvent pas connaître cette date ;
  • Les produits cosmétiques sont par ailleurs soumis à des règles sanitaires particulières qui interdit leur remise dans le commerce après ouverture.

La Cour d’appel, confirmée encore une fois par la Cour de cassation, valide le raisonnement de la société Chanel et considère que la commercialisation de produits cosmétiques sans leur emballage constitue une altération ultérieure du produit qui justifie que le titulaire de la marque puisse s’opposer à leur revente.

 

Le revendeur qui commercialise des produits griffés neufs (crème de jour dans son emballage) dans la même galerie marchande qu’un distributeur agréé se rend-il coupable de parasitisme ?

Enfin, la Cour était invitée à se prononcer sur la question de la revente de produits neufs acquis auprès de particuliers. À ce sujet, il n’y avait pas de question de droit des marques puisque les produits en cause avaient déjà été commercialisés une première fois et n’avaient subi aucune altération ou modification, de sorte que les droits conférés à Chanel par la titularité de sa marque étaient épuisés.

En revanche, les juges vont estimer que la revente de produits neufs dans leur emballage d’origine portant des étiquettes comparatives de prix neufs/revente montrait la volonté du revendeur de s’approprier la clientèle de Chanel en recherche de bonne affaire. De plus que les clients étaient informés de la possibilité de tester les produits vendus chez des distributeurs agréés situés dans la même galerie marchande avant de les acheter.

Le revendeur s’est donc rendu coupable de parasitisme, en cherchant à s’approprier la clientèle d’un distributeur sélectif.

À retenir donc :

  • La distribution d’échantillons n’épuise pas les droits du titulaire de la marque sur ces produits. Leur commercialisation est conditionnée par l’autorisation du titulaire.
  • Malgré une première mise en circulation, le titulaire de la marque peut toujours s’opposer à la revente de ses produits cosmétiques. En cette matière, le fait que ceux-ci aient été ouverts constitue une altération du produit qui justifie que le titulaire de la marque conserve ses droits sur ce produit.
  • Attention à la revente de produits neufs en seconde main qui peut constituer un acte de parasitisme s’il est démontré la volonté de s’approprier la clientèle des revendeurs agréés d’un réseau de distribution sélective.
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