La loi Badinter et la voie propre de circulation d’un tramway

Écrit le
5 mars 2024

Robert Badinter nous a quitté le vendredi 9 février à l’âge de 95 ans.

Grand avocat, Robert Badinter fut nommé garde des Sceaux, sous la présidence de François Mitterrand, de 1981 à 1986.

Mr BADINTER reste connu comme l’homme qui a porté le projet de loi pour l’abolition de la peine de mort, promulguée le 9 octobre 1981.

Il était également défenseur des droits de l’homme, et défenseur de toute sorte de discrimination.

Robert BADINTER a également joué un rôle important dans l’amélioration du droit des victimes.

Dans ce cadre, Mr BADINTER a ainsi été à l’origine de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, dite justement plus communément, loi BADINTER.

Lui rendre un modeste hommage semblait naturel et indispensable.

Quoi de plus indiqué que de commenter une décision rendue récemment, sur la base de la loi BADINTER, interprétée dans un sens large et toujours plus favorable aux victimes, par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 21 décembre 2023 (n° de pourvoi 21/25.352)

 

Pour rappel, l’article 1er de la loi BADINTER dispose que :

« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres. »

La notion de voie propre à la circulation était assez claire pour les trains, mais restait sujette à discussion pour les tramways, lesquels circulent en ville, et dont la notion de voie propre peut régulièrement porter à discussion.

Par un arrêt rendu le 5 mars 2020, la deuxième chambre civile était déjà venue apporter des éclaircissements, en estimant que l’accident s’était produit sur une voie qui n’était pas ouverte à la circulation et était de manière claire, distincte des voies de circulation des véhicules automobiles, matérialisée par une bordure surélevée, empêchant leur empiètement, ainsi que par des barrières empêchant le passage de piétons.

Le passage piéton était matérialisé quant à lui par des bandes blanches sur la chaussée conduisant à un revêtement gris traversant la totalité des voies du tramway et interrompant le tapis herbeux et pourvu entre les deux voies de tramway de poteaux métalliques empêchant les voitures de traverser mais permettant le passage des piétons.

La cour précisait par ailleurs que le point de choc entre le tramway et le piéton ne se situait pas sur le passage réservé aux piétons, mais bien sur la partie de voie propre au tramway.

La voie de circulation propre du tramway était donc définie comme une voie fermée à la circulation normale et matériellement séparée des autres voies de circulation, c’est-à-dire délimitée.

L’endroit du point de choc étant le dernier critère d’appréciation, pour venir exclure l’application de la loi Badinter.

 

Par un arrêt rendu le 21 décembre 2023, la Cour de cassation a eu, à nouveau, à se prononcer sur cette question de voie propre de circulation.

En l’espèce, le 9 juin 2011, un adolescent âgé de quinze ans perdait l’équilibre et faisait un écart sur la voie de tramway qui longeait le trottoir sur lequel il marchait. Il heurtait alors le tramway qui arrivait sur cette voie et chutait sur les rails.

Les parents de la victime agissaient en leur nom personnel, ainsi qu’en qualité de représentants légaux de leur fils, à l’encontre de l’exploitant du tramway et de leur assureur, sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.

La Cour d’appel considérait comme applicables à l’accident les dispositions de loi Badinter et le droit à réparation intégrale du préjudice subi par les demandeurs.

Naturellement, l’exploitant et son assureur formaient un pourvoi en cassation, estimant que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ne s’appliquent pas aux tramways circulant sur des voies qui leurs sont propres.

Une voie étant propre au tramway lorsqu’elle est réservée à sa seule circulation, sans être destinée aux autres usagers.

Selon les demandeurs au pourvoi, et au regard des constatations des juges du fond, la chaussée où s’était produit l’accident était divisée en trois voies de circulation : deux voies ferrées contiguës, réservées aux tramways, et une troisième voie à sens unique pour les autres véhicules.

Ils ajoutaient en outre que la voie était longée par un trottoir.

Cela justifiait, selon les demandeurs au pourvoi, que la voie sur laquelle s’était produit l’accident soit considérée comme étant propre à la circulation du tramway puisque lui étant réservée, et n’étant pas destinée à être empruntée par d’autres véhicules ou par des piétons.

Enfin, les demandeurs considéraient qu’il n’était pas nécessaire que la voie empruntée par le tramway soit surélevée ou séparée des autres voies pour être qualifiée de voie propre de circulation.

Ils estimaient ainsi que la Cour d’appel avait ajouté des conditions non prévues à l’article 1er de la loi Badinter, en jugeant que cette voie n’était pas réservée à l’usage du tramway, au motif qu’à l’endroit du point de choc, elle n’était pas séparée des autres voies ou du trottoir, par des obstacles infranchissables ou une barrière.

La Cour de cassation rejetait le pourvoi.

Elle rappelait ainsi que les dispositions du chapitre 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, relatives à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, sont applicables, selon l’article 1er de cette loi, aux victimes d’accidents dans lesquels est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres.

La Cour précisait à ce titre que la Cour d’appel avait justement relevé qu’à l’endroit du choc, aucune barrière ne séparait la voie de tramway du trottoir, duquel la victime avait chuté et que la hauteur de celui-ci ne permettait pas de délimiter cette voie.

La Cour confirmait donc, qu’en l’état de son pouvoir souverain d’appréciation, la Cour d’appel avait « exactement retenu qu’à l’endroit du choc, la voie de tramway ne lui était pas propre en ce qu’elle n’était pas isolée du trottoir qu’elle longeait et en a déduit, à bon droit, que la loi du 5 juillet 1985 s’appliquait à l’accident. »

Ainsi, par cet arrêt, la haute cour vient confirmer sa position, reprenant les trois critères d’appréciation, visiblement cumulatifs, à savoir, l’exclusivité de l’usage de la voie de circulation, sa délimitation, et enfin l’endroit du point de choc.

Une position sans nul doute favorable aux victimes et à leur indemnisation.

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