Confirmation de Jurisprudence sur la faute inexcusable, projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024

Écrit le
29 décembre 2023

Aux termes d’un article publié dans l’actu en début d’année, il avait été expliqué le processus d’indemnisation des préjudices corporels, en matière d’accident de travail.

Et ce notamment, en cas de faute inexcusable de l’employeur.

C’est ainsi qu’avaient été soulevé le revirement de jurisprudence opéré par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation par deux arrêts du 20 janvier 2023, considérant désormais que la rente servie à la victime à la suite de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cass. Ass.Pl. 20 janvier 2023, N°21-23.947 et N°20-23.673).

 

Par ces arrêts, il est désormais accordé aux victimes de percevoir, en complément de leur rente, une indemnité distincte, visant à réparer le déficit fonctionnel permanent, autrement appelé, atteinte à l’intégrité physique et psychique.

 

Aux termes d’un arrêt du 6 juillet 2023 (21.24-283), la deuxième Chambre civile confirmait sa jurisprudence qu’elle transposait à la pension d’invalidité, estimant que la pension versée à une victime ne répare pas le définiti fonctionnel permanent. La pension ne s’impute donc plus sur ce poste, mais seulement sur les postes de pertes, de gains futurs et d’incidence professionnelle.

 

Par un arrêt du 30 novembre 2023, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation (21-24.757) vient confirmer sa position quant à la faute inexcusable de l’employeur.

La Cour fait d’ailleurs rappel de la décision de revirement d’Assemblée plénière du 23 janvier 2023.

« 5. Selon l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de la rente ou de l’indemnité en capital qu’elle reçoit en vertu de l’article L. 452-2 du même code, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, la victime a le droit de demander à celui-ci devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

  1. Il est désormais jugé que la rente ou l’indemnité en capital versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvois n° 20-23.673 et 21-23.947, publiés).
  1. Il en résulte que la victime d’une faute inexcusable peut prétendre à la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, que la rente ou l’indemnité en capital n’ont pas pour objet d’indemniser.
  2. L’arrêt retient l’existence de souffrances morales liée à l’angoisse permanente d’une évolution grave de la maladie et à l’inquiétude de laisser seul son fils, majeur me sous curatelle, dont elle a souverainement apprécié le montant.
  1. Par ces motifs de pur droit, partiellement substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision attaquée se trouve légalement justifiée. »

 

Sur le fond, cet arrêt vise en réalité à rappeler le principe indemnitaire des souffrances endurées.

 

En effet, l’employeur faisait grief à la Cour d’Appel d’avoir indemnisé les souffrances endurées par la victime, alors qu’il considérait que ces souffrances étaient déjà indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent, lui-même réparé par l’allocation d’une rente majorée.

 

La Cour de cassation rappelle donc d’une part que la victime a droit, en cas de faute inexcusable de l’employeur, de solliciter l’indemnisation des souffrances physiques et morales endurées, qui ne sont jamais réparées par le déficit fonctionnel permanent.

 

Mais elle vient surtout réaffirmer son revirement de jurisprudence, en rappelant que désormais, il est considéré que la rente (tout comme la pension d’invalidité) ne répare plus le déficit fonctionnel permanent.

 

Pour rappel, cela emporte une double conséquence :

  • Le déficit fonctionnel permanent ou AIPP doit désormais être évalué en expertise médicale, suite à une demande d’indemnisation pour accident de travail, et ce alors même que jusqu’à lors le taux de séquelle était évalué par le médecin conseil de la sécurité sociale,

Ainsi, le taux fixé pourra être remis en question par l’expert médical désigné. Étant précisé qu’en revanche, il conviendra de conserver la dernière date de consolidation fixée par la sécurité sociale.

  • Mais cela implique également que la sécurité sociale ne pourra plus désormais venir exercer sa créance sur les indemnités allouées en réparation du poste de préjudice d’atteinte à l’intégrité physique et psychique, dans la mesure où les prestations versées par la sécurité sociales sont désormais considérées comme ne réparant pas ce poste de préjudice.

L’indemnisation de la victime d’accident de travail se trouve par conséquent considérablement élargie.

Cependant, face à ce revirement de jurisprudence, fort de conséquence, un projet de loi est à l’étude, qui pourrait venir contrecarrer cette évolution jurisprudentielle, favorable aux victimes.

 

En effet, le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2024 se propose de modifier le mode de calcul de la rente accident du travail.

À compter du 1er janvier 2025, celle-ci serait composée d’une part professionnelle et d’une part fonctionnelle, faisant l’objet de calculs distincts.

L’article 39 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 prévoit de modifier le mode de calcul des rentes versées en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle (rente AT/MP) lorsque le taux d’incapacité permanente de la victime est égal ou supérieur à un certain seuil (actuellement de 10 %).

Désormais, cette rente aurait deux composantes : professionnelle et fonctionnelle.

La part professionnelle viendrait indemniser les pertes de gains professionnels et incidence professionnelle.

La part fonctionnelle viendrait réparer le déficit fonctionnel permanent.

La loi introduirait à l’article L. 424-2 du Code de la sécurité sociale (modifié en conséquence) une table de concordance entre cette prestation et les postes de préjudice qu’elle répare.

Cela permettrait de fixer l’assiette du recours de l’organisme social, lorsqu’il réclame remboursement au responsable ou à l’assureur.

Jusqu’à présent, l’absence de table de concordance officielle, laissait à la discrétion des Tribunaux le soin de ventiler l’assiette du recours.

Ce qui a ainsi permis ce revirement de jurisprudence de la Cour et de considérer que le déficit fonctionnel permanent n’est pas réparé par la rente.

Afin de justifier de ce projet de Loi, il a été indiqué « la mesure tire les conséquences d’une jurisprudence récente de la Cour de cassation en redéfinissant le caractère dual de la rente et l’évolution du calcul de cette dernière ».

Il semble pour autant que l’assiette du recours des organismes sociaux ayant réduit par le biais de cette jurisprudence, il a été souhaité de rapidement y remédier.

Ce projet sera ainsi vu plus en détail s’il devait être adopté, étant d’ores et déjà précisé que les dispositions pourraient entrer en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2024. Les nouvelles mesures s’appliqueraient ainsi aux victimes dont l’état est consolidé ou dont le décès est survenu à compter de cette date.

 

À suivre donc….

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