L’indemnisation des préjudices corporels issus d’un accident de travail

Écrit le
31 mars 2023

En France, lorsqu’un salarié est victime d’un accident du travail, il peut avoir droit à une indemnisation pour les préjudices corporels subis.

Cette indemnisation peut être accordée par l’Assurance maladie ou par l’employeur, en fonction de l’origine de l’accident et de la gravité des préjudices.

Le régime d’indemnisation des accidents du travail est régi par le Code de la sécurité sociale.

Selon ce code, l’indemnisation est accordée aux salariés victimes d’un accident du travail survenu pendant l’exercice de leur travail ou à l’occasion de celui-ci. L’accident du travail doit avoir entraîné une lésion corporelle ou une maladie professionnelle.

 

L’Article L411-1 du Code de la sécurité sociale dispose :

« Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. »

Il est donc intéressant de s’interroger sur les conditions et l’étendue de l’indemnisation du dommage physique qui en découle, compte tenu de la diversité des situations possibles.

Ainsi, les préjudices corporels d’un salarié peuvent survenir à l‘occasion de situations multiples.

  • Accident suite une tâche effectuée dans le cadre de sa mission, que cela se déroule dans l’entreprise, ou en dehors.
  • Accident le trajet – travail : trajet entre le domicile et le travail, trajet entre le travail et le lieu où le salarié prend habituellement ses repas, sans détour en cours de trajet (L 411-2 du CSS)

Il est important de noter que par défaut, L’ACCIDENT DU TRAVAIL EST INDEMNISÉ DE FACON FORFAITAIRE PAR LA SÉCURITE SOCIALE

L’article L 431-1 du CSS précise ainsi que les prestations accordées aux bénéficiaires, et qui incombent aux Caisse d’assurance maladie, comprennent :

1°) la prise en charge des frais médicaux de manière large, frais de transport médicaux, les frais de réadaptation et de rééducation, les frais de reclassement et de reconversion professionnelle

2°) les indemnités journalières versées à la victime pendant la période d’incapacité temporaire qui l’oblige à interrompre son travail ;

3°) les prestations autres que les rentes, dues en cas d’accident suivi de mort ;

4°) pour les victimes atteintes d’une incapacité permanente de travail, une indemnité en capital lorsque le taux de l’incapacité est inférieur à un taux déterminé, une rente au-delà et, en cas de mort, les rentes dues aux ayants droit de la victime.

Cette indemnisation forfaitaire interdit à la victime d’engager une action judiciaire dans les conditions de droit commun pour obtenir la réparation intégrale de son préjudice.

Cette règle connaît des exceptions dont certaines développées ci-après : accident de circulation, faute d’un tiers, faute intentionnelle de l’employeur, ou affection non prise en charge par l’employeur.

La question se pose ensuite de l’indemnisation du salarié lorsque celui-ci conserve des séquelles, c’est-à-dire lorsqu’il sera atteint d’une incapacité permanente après consolidation.

La première étape se trouve l’évaluation du taux d’incapacité permanente :

Le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité.

Ce taux est fixé par le médecin conseil de la sécurité sociale à l’issue d’une expertise médicale.

Si le taux d’incapacité (IPP) est inférieur à 10%, la victime perçoit une indemnité forfaitaire versée en une seule fois : en Capital

Si le taux d’IPP est égal ou supérieur à 10%, la victime bénéficie d’une rente viagère jusqu’à son décès.

Certaines hypothèses ouvrent cependant droit à la victime salariée d’obtenir un complément d’indemnisation.

Outre le complément d’indemnisation qui pourra être sollicité, la faculté pour les victimes de recourir au droit commun, leur ouvre également droit à une évaluation de leurs séquelles indépendamment du taux retenu par la sécurité sociale.

Cela est également désormais le cas dans l’hypothèse de la faute inexcusable de l’employeur, en vertu d’un revirement de jurisprudence particulièrement récent, détaillé plus loin.

 

La faute d’un tiers

Lorsque l’accident est dû à un tiers extérieur à l’entreprise, la victime ou ses ayants droit disposent du droit d’agir sur le fondement du droit commun pour obtenir réparation des préjudices non couverts par les prestations versées par la sécurité sociale.

Etant précisé que, sauf accident de la circulation, les tiers s’entendent des personnes autres que l’employeur ou ses préposés.

Cela est également possible en cas de partage de responsabilité entre le tiers et l’employeur ou son préposé  (Cass. ass. plén. 22-12-1988 n° 85-17.473: RJS 2/89 n° 193 ).

La Caisse pourra alors réclamer ses créances auprès du tiers responsable, et obtenir remboursement des prestations versées.

L’employeur sera également en capacité de solliciter du tiers réparation du préjudice qu’il a lui-même subi, tel que le remboursement des salaires, charges comprises, versés pendant l’arrêt de travail (Cass. ass. plén. 30-4-1964 n° 62- 11.135 et 61-13.793).

En sens inverse, et sauf faute intentionnelle de l’employeur (Cass. 2e civ. 29-11-2018 n° 17-17.747 F-PB: RJS 2/19 n° 127), le tiers condamné à réparer le préjudice de la victime ne pourra exercer un recours contre cet employeur (ou son préposé) ni contre son assureur, même s’ils partagent la responsabilité de l’accident (Cass. ass. plén. 31-10-1991 n° 88-17.449 ; n° 88-19.689; n° 89-11.514: RJS 1/92 n° 78).

Le recours de la victime contre le tiers responsable n’est pas subordonné à l’exercice  préalable d’un recours contre l’employeur (Cass. 2e civ. 4-4-2013 n° 12- 13.921 F-PB : RJS 6/13 n° 487).

 

L’accident de circulation

Lorsque l’accident qualifié d’accident du travail est survenu sur une voie ouverte à la circulation publique et implique un véhicule terrestre à moteur conduit par l’employeur, un préposé ou une autre personne appartenant à la même entreprise que la victime, cette dernière ou ses ayants droit et la caisse peuvent intenter une action en responsabilité contre l’auteur de l’accident dans les mêmes conditions que celles visées prévues en cas de faute d’un tiers.

La victime ou ses ayants droit peuvent alors prétendre, en sus de la réparation forfaitaire de la sécurité sociale, à l’indemnité prévue par la loi du 5-7-1985 fixant les règles d’indemnisation des accidents de la circulation.

Cela implique par conséquent que la victime dispose du droit d’agir sur le fondement de la loi Badinter, et obtenir ainsi l’indemnisation intégrale de ses préjudices.

Sont en principe exclus du champ d’application de l’indemnisation complémentaire les accidents survenus dans l’enceinte de l’entreprise ou à l’intérieur d’un chantier, ou alors que le véhicule est à l’arrêt (Cass. 2e civ. 5-2- 2015 n° 13-26.358: R)S 4/15 n° 288).

Enfin, il sera précisé que les indemnités pour accident de la circulation et faute inexcusable de l’employeur sont cumulables (Cass. 2e civ. 12-7-2012 n° 11-20.123 : RJS 11/12 n° 900 rectifié par Cass. 2e civ.10-2-2005 n° 03-11.316 FS-D ).

 

La faute inexcusable de l’employeur

La faute inexcusable de l’employeur implique que ce dernier manque à son obligation de sécurité de résultat dont il a la charge.

Cette faute inexcusable est retenue lorsque le salarié démontre que son employeur aurait dû avoir conscience du danger de la situation et n’a pas pris les mesures nécessaires pour le prévenir.

La faute inexcusable peut être invoquée lorsqu’un préposé de l’employeur ne remplit pas l’obligation de sécurité.

Il est à noter une évolution jurisprudentielle de la définition de la faute inexcusable de l’employeur dont le domaine se trouve considérablement élargi.

La faute inexcusable était originairement définit comme étant une faute « d’une gravité exceptionnelle, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel de la faute intentionnelle »

Désormais, les juges énoncent: « en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles (et les accidents du travail) contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l’entreprise ; le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable (…) lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver »

Avec cette solution de principe, la faute inexcusable repose désormais sur trois éléments :

  • elle est d’abord indissolublement liée à l’obligation contractuelle de sécurité pesant sur l’employeur. Parce qu’elle constitue une obligation de résultat, l’employeur manque à cette obligation de sécurité et commet « une faute »

Sur ce point, il sera relevé qu’il s’agit d’une incohérence au sens juridique du terme, dans la mesure où une obligation de résultat est en principe fondée sur une responsabilité sans faute.

Ce raisonnement vise cependant à permettre à la victime d’obtenir la meilleure indemnisation possible, par l’abandon du caractère d’exceptionnelle gravité de la faute.

  • Il faut dès lors que l’employeur ait eu ou aurait dû avoir conscience du danger, et qu’il n’ait pas pris les mesures pour préserver le salarié de ce danger, pour qualifier la faute inexcusable.

Pour évaluer la conscience du danger qu’a eu ou qu’aurait dû avoir l’employeur, élément-clé, les juges se livrent à une appréciation in abstracto, par référence à un comportement normalement diligent d’un employeur en pareille circonstance, en tant compte des connaissances scientifiques actuelles à l’accident, et des textes en vigueur.

L’absence de mesures nécessaires à préserver la santé du salarié sera induite par l’absence de précautions prises par l’employeur ou de leur insuffisance.

  • Il sera également nécessaire de rapporter la preuve du lien de causalité entre la faute et le dommage.

Sur ce point, la position jurisprudentielle s’est également assouplie, dans la mesure où il est désormais indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié.

Il suffit qu’elle ait été un élément nécessaire à la production du dommage (Cass. ass. plén., 24 juin 2005, no 03-30.038, Bull. civ. ass. plén., nº 7, JCP S 2005, 1056 ; Cass. 2e civ., 22 janv. 2009, no 07-21.222)

*

Lorsque la faute inexcusable est retenue, le salarié bénéficie d’une majoration de la rente qui lui est accordée au titre des dispositions de l’article L 452-2 du Code de la sécurité sociale.

 

Mais là n’est pas la seule indemnisation complémentaire perçue par la victime.

La victime pourra prétendre à l’indemnisation complémentaire des préjudices suivants :

  • Le déficit fonctionnel temporaire : il s’agit des gênes temporaires subies par le salarié dans pendant la période d’hospitalisation et après cette dernière, dans les actes de la vie courante avant la consolidation de ses blessures
  • L’aide par tierce personne reçue durant la période de déficit fonctionnel temporaire avant consolidation, que cette aide ait été familiale ou professionnelle,
  • Les souffrances endurées :  physiques et morales avant sa consolidation
  • Le préjudice esthétique temporaire et définitif,
  • Le préjudice d’agrément 
  • la perte ou de la diminution de possibilités de promotion professionnelle 
  • Le préjudice sexuel : il s’agit d’indemniser le préjudice lié à l’atteinte des organes sexuels, la perte de plaisir ou à l’incapacité de réaliser l’acte sexuel, l’impossibilité ou la difficulté de procréer
  • Les frais de logement et/ou de véhicule adaptés
  • Les préjudices permanents exceptionnels

Plus récemment encore, par deux décisions du 20 janvier 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence particulièrement remarqué et considère désormais que la rente servie à la victime à la suite de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cass. Ass.Pl. 20 janvier 2023, N°21-23.947 et N°20-23.673).

En conséquence de ces arrêts, les juridictions peuvent désormais accorder aux victimes de percevoir, en complément de leur rente, une indemnité distincte, visant à réparer le déficit fonctionnel permanent autrement appelé, atteinte à l’intégrité physique et psychique.

Cela emporte une double conséquence :

  • Le déficit fonctionnel permanent ou AIPP doit désormais être évalué en expertise médicale, suite à une demande d’indemnisation pour accident de travail, et ce alors même que jusqu’à lors le taux de séquelle était évalué par le médecin conseil de la sécurité sociale,

Ainsi, le taux fixé pourra être remis en question par l’expert médical désigné. Etant précisé qu’en revanche, il conviendra de conserver la dernière date de consolidation fixée par la sécurité sociale.

  • Mais cela implique également que la sécurité sociale ne pourra plus désormais venir exercer sa créance sur les indemnités allouées en réparation du poste de préjudice d’atteinte à l’intégrité physique et psychique, dans la mesure où les prestations versées par la sécurité sociales sont désormais considérées comme ne réparant pas ce poste de préjudice.

L’indemnisation de la victime d’accident de travail se trouve par conséquent considérablement élargie.

*

Au travers de cette analyse, il sera observé que l’’accident de travail et son indemnisation est un domaine qui n’a pas fini d’évoluer.

Espérons-le dans un sens toujours plus favorable aux victimes, les employeurs étant de manières de plus en plus constantes, couverts par des contrats d’assurance visant à garantir leur responsabilité.

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